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nales aux idées modernes. Le poème d’el Moro esposito et les Romances historiques du même auteur sont conçus et exécutés dans cet esprit. Cette école n’a pas complètement résolu le problème, mais elle y travaille. Ce qu’il y a de plus piquant, c’est que Zorrilla lui appartient. Ce poète, que des lecteurs français ne trouveraient probablement pas assez original, veut avant tout être Espagnol, et fait ce qu’il peut pour n’être qu’Espagnol. Ses compatriotes le comparent à Calderon, dont il a retrouvé, en effet, la veine féconde, mais à qui il ne ressemble que par la facilité de la versification et les autres qualités extérieures. Dans ses préfaces, il n’exprime qu’un seul sentiment, l’orgueil d’être né dans son beau pays, de parler cette belle langue castillane, de n’avoir d’autres maîtres que les grands esprits de la cour de Philippe III et de Philippe IV. Ce n’est pas sa faute s’il est entraîné par nécessité à être moins Espagnol qu’il ne veut, et il y aurait de l’injustice à lui en faire un tort.

Au commencement de son premier recueil de poésie, aussitôt après l’ode sur la mort de Larra, on trouve une ode à Calderon. Zorrilla s’est mis visiblement l’esprit à la torture pour reproduire, dans cette pièce, la manière du grand poète, et il n’a réussi qu’à faire des vers entortillés, tout pleins de ce que les Espagnols appellent des conceptos et les Italiens des concetti, et beaucoup plus semblables aux jeux d’esprit de Gongora et de son école qu’à la poésie vive, élégante et spirituelle de Calderon. L’auteur charmant de la Maison à deux portes et du Médecin de son honneur tombait sans doute quelquefois dans ces recherches puériles, défauts aimés de son temps, mais ce n’est là qu’un des caractères secondaires et une des taches de son talent. En accumulant les pointes et les antithèses, en comparant à la fois le génie de Calderon à un phénix et à un aigle, et en jouant sur ce bizarre parallèle pendant quarante ou cinquante vers, en louant le poète d’avoir été le premier qui ait créé un monde après Dieu, et en insistant sur cette idée pendant plusieurs strophes, Zorrilla a fait la charge, et non le portrait de son modèle. Croit-on, par exemple, que les vers suivans, tout empreints cependant de la saveur natale, soient de nature à lui faire grand honneur ?

« Ton sépulcre est un autel ; — tu n’y descends pas, tu y montes. — Certes, tu peux être tranquille, — ta gloire a monté jusqu’aux nues, — et de là ne descendra pas. — Si dans les cieux tu n’es pas le soleil, — tu seras la lune, qui est plus belle. — Tu ne peux pas être une étoile, — car, au troisième rang comme elle, — ne peut pas être un Espagnol. »