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s’est mêlé à l’esprit chrétien ; sur d’autres, l’esprit local a fortement réagi et a produit des associations d’idées inattendues. Ici, le christianisme marche accompagné de l’inquisition ; là, il se prête à toutes les expériences de la réforme ; ici il est monarchique, là il est républicain. Mais il a fallu subir avant tout le baptême commun, et les divergences n’ont été possibles qu’après le triomphe du principe. Il en a été de même de toutes les autres révolutions humaines ; il en sera encore ainsi de ce travail universel qui tend à établir partout dans le monde l’égalité, la liberté, la publicité, le gouvernement représentatif.

Il ne se passe donc rien aujourd’hui qui ne se soit passé dans tous les temps. De tout temps, l’impulsion est partie du point où est née l’idée-mère, et s’est répandue de proche en proche dans le reste de l’univers. Lors de l’établissement du christianisme, le signal a été donné par la Judée ; il a été répété successivement par la Grèce, par Rome, par l’Afrique, et a fini par arriver aux dernières limites de la terre. Pour prendre des exemples moins grands et plus rapprochés de nous, le mouvement de la renaissance a commencé en Italie, et a passé de là en Espagne, en France, dans toute l’Europe. Le mouvement de la réforme a commencé en Saxe, et a pénétré peu à peu dans le reste de l’Allemagne, dans les Pays-Bas, en Angleterre, en France, et jusqu’en Espagne et en Italie, où il a produit des résultats particuliers. Le mouvement actuel est né en Angleterre, a pris, en passant en France, une largeur philosophique qui l’a profondément transformé, et se répandra de là, Dieu aidant, dans tout le monde civilisé. Chacune de ces révolutions a amené avec elle, en se propageant, son expression littéraire. Le XIXe siècle a la sienne, comme ses devanciers ; bonne ou mauvaise, sa physionomie est à lui. Le centre de sa littérature est en France, comme à la fin du XVe siècle le centre littéraire de l’Europe était en Italie, et au commencement du XVIIIe en Espagne. Cette littérature n’est pas complètement française, comme le principe social dont elle émane ; il s’y est mêlé, surtout dans l’origine, beaucoup de formes anglaises, mais maintenant l’esprit français a prévalu, et le reste de l’Europe prend modèle sur nous. Est-ce à tort ou à raison ? Ce serait une nouvelle question à débattre ; cependant ce qui la simplifie d’avance beaucoup, c’est qu’on ne peut pas faire autrement, pour le moment du moins. Lorsque l’esprit nouveau aura triomphé partout, il verra ce qu’il aura à faire ; en attendant, il faut qu’il s’étende.

L’Espagne est, de tous les pays de l’Europe, celui qui nous suit