Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/188

Cette page a été validée par deux contributeurs.
182
REVUE DES DEUX MONDES.


Dime, que nos valen,
Pajaro infeliz,
A ti tus lamentos,
Mis cantos a mi ?

On dira sans doute que cette poésie n’est pas originale, et on aura raison en prenant le mot originalité dans le sens étroit qu’on lui donne généralement aujourd’hui. La poésie de Zorrilla n’est pas plus originale en Espagne que le mouvement politique qui agite ce pays depuis cinquante ans ; comme ce mouvement lui-même, elle est venue de l’étranger. Mais est-ce là un motif pour la condamner sans l’entendre, et connaît-on beaucoup de littératures au monde qui soient à l’abri de ce reproche ? Le mouvement littéraire français de la restauration n’était pas plus original dans son temps que le mouvement littéraire espagnol ne l’est aujourd’hui ; l’imitation de l’étranger était aussi sensible dans l’un que dans l’autre. Nos écrivains modernes ont imité lord Byron, Walter Scott, Goethe, Schiller, et avec eux les grands poètes passés qui leur avaient à leur tour servi de modèles, Shakspeare, Dante et Calderon. En sommes-nous moins fiers de ce que cette imitation a produit chez nous ? et après avoir imité nous-mêmes, devons-nous nous montrer si dédaigneux pour qui nous imite ? Notre histoire littéraire tout entière n’est-elle pas une série d’imitations ? Le grand Corneille n’a-t-il pas traduit de l’espagnol la moitié de ses vers, et emprunté de l’antique la plus grande partie de l’autre moitié ? Racine n’est-il pas presque tout entier dans Euripide et dans la Bible ? Molière ne prenait-il pas partout où il le trouvait ce qu’il appelait son bien par plaisanterie, et qui n’était en réalité que le bien d’autrui ? Hors de France, dans l’antiquité comme dans les temps modernes, ne voit-on pas toutes les poésies s’inspirer les unes des autres ? Virgile n’est-il pas le copiste d’Homère ? Shakspeare n’emprunte-t-il pas ses plus beaux sujets aux conteurs italiens ? et Dante lui-même est-il autre chose qu’un résumé des légendes qui avaient cours de son temps dans tout le monde catholique ?

L’imitation est la mère des arts. Il est rare, et peut-être sans exemple, que le génie d’un homme ou d’un peuple ait été absolument spontané. C’est toujours du rapprochement de deux intelligences ou de deux civilisations que jaillit l’étincelle créatrice. Si l’Espagne actuelle s’inspire de la France, l’Espagne du XVIe siècle s’est inspirée de l’Italie du XVe. L’Italie elle-même n’a été, au moyen-âge, la reine des lettres et des arts, que parce que le souffle antique