Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/187

Cette page a été validée par deux contributeurs.
181
MOUVEMENT LITTÉRAIRE DE L’ESPAGNE.

ladie de la mélancolie poétique qui est née en Angleterre sous les auspices de lord Byron et des lakistes, et qui s’est répandue en France pendant la restauration, est arrivée jusqu’en Espagne avec le gouvernement représentatif. Ce peuple si plastique, si positif, si tranché, s’est laissé gagner un moment par le vague, l’incertitude et l’ennui, et c’est à ce moment précis que Zorrilla est venu. D’autres avaient essayé, avant lui, de rendre ces sentimens si nouveaux en Espagne, mais leurs œuvres imparfaites n’avaient obtenu qu’une attention distraite et éphémère. Lui seul a saisi fortement le public ; lui seul a trouvé les accens nouveaux qui répondaient directement à l’état des ames.

En 1837, 1838 et 1839, il a publié chaque année deux volumes de poésies, et il y a prodigué avec une verve intarissable tous les trésors du genre. La langue espagnole, naturellement si pompeuse, prête plus qu’une autre aux développemens, aux énumérations, aux amplifications poétiques, procédés habituels de la muse un peu verbeuse du XIXe siècle. C’est un luxe de mots, une profusion de rimes, une opulence de descriptions, une variété de mélodies qui étonnent. Zorilla chante les ruines, l’orgie, la nuit, l’orage, la solitude, la prière, le doute, l’amour, et ce qui revient toujours dans ses vers, c’est la vanité de la vie, du plaisir et de la gloire, soit que, peignant ces tourmens d’esprit qui poursuivent de nos jours le riche dans ses fêtes comme le pauvre dans ses douleurs, il s’écrie :

Les uns meurent dans l’ivresse,
Les autres meurent de faim,
Tous se maudissent eux-mêmes,
Car ils sont tous malheureux.

Unos cayeron beodos,
Otros de hambre cayeron,
Y todos se maldijeron,
Que eran infelices todos.

soit que, s’adressant à une tourterelle, il se plaigne avec amertume de l’inutilité de ses propres chants, qui se perdent avec tout le reste dans l’impuissance universelle :

Dis, que nous servent,
Ô triste oiseau,
À toi tes plaintes,
Mes chants à moi ?