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vers. Sa première apparition a en elle-même quelque chose de fatal qui montre combien il était attendu.

Par une triste soirée du mois de février 1837, un char funèbre cheminait lentement dans les rues de Madrid. Une longue procession de jeunes gens le suivait en silence. Dans le cercueil que supportait ce char étaient les restes de don Mariano Jose de Larra, qui venait de mourir à la fleur de l’âge, frappé de ses propres mains. C’était le premier de cette jeunesse active et généreuse qui s’éteignait au milieu de ses frères désolés ; la couronne posée sur son cercueil était la première que ce temps de rénovation laborieuse décernait au talent. Chacun des assistans s’honorait lui-même en suivant le funèbre triomphe du poète expiré. Quand on fut arrivé au cimetière de la porte de Fuencarral, les amis du mort se pressèrent autour de sa fosse, et l’un d’eux prononça d’une voix pleine de larmes l’éloge de Larra. « En ce moment, raconte un des témoins de cette scène touchante, nos cœurs étaient plus profondément émus qu’il n’est possible de l’exprimer ; ce que nous éprouvions nous élevait dans un autre monde ; ce n’était plus la contemplation profonde de cette mort fatale, la vue de ce cimetière, l’inauguration de cette tombe, la voix éloquente de notre ami ; c’était plus que tout cela, ou plutôt c’était tout cela réuni pour nous jeter dans cet état d’inexplicable magnétisme, où un même sentiment saisissant toutes les ames à la fois, il semble qu’on s’aide mutuellement à se soutenir dans les nuées. » Tout à coup, du milieu de la foule, et comme s’il s’était élancé du sépulcre même, sortit un jeune homme, un enfant, inconnu de presque tous, qui, levant vers le ciel un regard inspiré, prononça les vers dont voici la traduction :

« Cette vague clameur qui déchire le vent — est la voix funéraire d’une cloche, — vaine et dernière plainte — sur un cadavre livide et décharné, — qui dans l’immonde poussière dormira demain.

« Il acheva sa mission sur la terre, — et laissa là son existence épuisée, — comme la vierge perdue au plaisir — suspend à l’autel ses voiles profanes.

« Il vit devant lui l’avenir vide, — vide déjà de rêves et de gloire, — et se livra à ce sommeil sans souvenir, — qui nous mène à nous réveiller dans un autre monde.

« C’était une fleur que fana le soleil ; — c’était une fontaine que tarit l’été ; — déjà on n’entend plus le murmure de la source, — déjà est brûlée la tige de la fleur ; — mais le parfum se sent encore, — et cette verte couleur de la plaine, — ce manteau d’herbe et de fraîcheur, — sont fils du ruisseau créateur.