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MOUVEMENT LITTÉRAIRE DE L’ESPAGNE.

temporains, la littérature n’a été en quelque sorte que l’auxiliaire de la politique. Avant tout, il fallait donner à l’Espagne une constitution qui lui permît de se développer, et ce n’était que dans les momens de repos qu’on pouvait songer à écrire ; la tâche du citoyen passait avant celle de l’historien ou du poète. Cette nécessité n’est pas moins marquée dans la seconde génération. Presque tout entiers absorbés par la polémique quotidienne, les écrivains qui portent le poids de la chaleur et du jour ont à peine le temps de produire quelque chose en dehors de la politique. Pour les jeunes gens, au contraire, le champ est libre. Leurs devanciers travaillent pour eux à doter l’Espagne de l’organisation qui lui manque ; eux n’ont besoin que de respirer l’air et le soleil ; à l’abri des conquêtes nouvelles que chaque jour apporte, ils n’ont qu’à jouir de ce qui coûte tant de peine à d’autres ; ils ont trouvé la pensée affranchie, et ils en profitent pour se livrer sans contrainte à leur inspiration.

Telle est en effet la marche naturelle des choses dans ces temps de régénération nationale. Il n’est pas toujours nécessaire que l’écrivain contribue lui-même au mouvement qui emporte la société. Quand ce mouvement est décidément le plus fort, l’écrivain peut lui être étranger, opposé même, sans qu’il y perde rien de sa puissance et de son succès. Dans la fermentation des idées et des faits, tout se développe à la fois, même les besoins les plus contradictoires, et il vient un moment où des efforts divergens en apparence servent en même temps au progrès commun. Ce moment est venu pour l’Espagne. Zorrilla et ses jeunes amis ne sont pas hostiles à la révolution politique, mais ils pourraient l’être sans inconvénient. Ils se contentent de se tenir à l’écart. La littérature existe désormais par elle-même dans leur patrie ; elle s’est dégagée de son brûlant berceau. L’aliment extérieur lui est toujours nécessaire, mais le rapport devient éloigné et cesse presque d’être visible. À mesure que la société nouvelle se constitue, la division du travail s’établit. Du sein des combats et des discordes, les ames tendent vers les régions inaltérables de la poésie, et la soif de l’idéal est excitée par les querelles prolongées de la réalité. Tout un ordre de sentimens nouveaux, inconnus, naît et aspire à se satisfaire en dehors du monde positif. C’est à ce besoin qu’a répondu Zorrilla ; c’est par là que s’expliquent et sa prompte gloire et sa merveilleuse fécondité. Il est venu à propos et comme à son heure. Il a trouvé un public tout prêt et une carrière poétique toute tracée. Sa vie n’est qu’un chant, et il a peine à suffire à cette voix de tous qui lui demande toujours, toujours, des