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Nous désirons sincèrement nous tromper, mais nous tenons la conclusion d’un traité de commerce avec l’Angleterre pour une œuvre à bien dire impossible en présence des exigences parlementaires, et dans l’état actuel de l’opinion. L’expérience du traité du 20 décembre a trop profité à tout le monde pour qu’on se soit légèrement engagé dans une telle affaire ; aussi croyons-nous fermement qu’après de longues et stériles négociations, sir Robert Peel se trouvera dans le cas de déclarer au parlement que ses espérances ont été déçues, et que la France s’est obstinément refusée à ouvrir son marché aux innombrables produits de Leeds, de Sheffield et de Birmingham. L’Angleterre n’aura-t-elle pas la Chine pour se consoler ?

Une phrase prononcée par M. le ministre des affaires étrangères, dans la discussion des fonds secrets à la chambre des pairs, a donné lieu à des commentaires qui ne sont pas sans importance. En exposant l’état de nos rapports avec l’Espagne, M. Guizot a donné à entendre qu’un arrangement pourrait non-seulement lever les difficultés commerciales que nous éprouvons en ce pays, mais encore celles que nous suscitent dans la Péninsule les intérêts de l’Angleterre. On a conclu de ces paroles prononcées avec toute la réserve imposée à un ministre, que le cabinet français songeait à lier en Espagne nos négociations commerciales avec celles que poursuit depuis si long-temps la Grande-Bretagne, et que la France serait disposée à donner la main à l’Angleterre pour parvenir à la conclusion d’un traité de commerce.

C’est là une interprétation à laquelle nous nous refusons absolument, et qui est, nous le croyons, loin de la pensée du cabinet. Il ne peut ignorer que cette tentative a été faite plus d’une fois par le ministère anglais sous la restauration et sous le gouvernement actuel, et qu’elle a été constamment repoussée. Il est évident, en effet, que l’association n’est pas acceptable sur ce terrain, puisque nous ne serions pas en mesure de profiter pour nous-mêmes de l’abaissement des tarifs espagnols, et de lutter à armes égales avec l’Angleterre pour l’approvisionnement du marché de la Péninsule. D’ailleurs la France ne réclame pas le droit de ruiner et d’affaiblir l’Espagne, de compte à demi avec personne : son grand, son seul intérêt, c’est que ce pays reste puissant et fort, c’est que son industrie se développe comme sa liberté et son génie natif ; l’intérêt de la France, c’est que l’Espagne ait un commerce, une marine, de la richesse intérieure et des institutions régulières, c’est que la main de plomb d’un nouveau Méthuen ne s’étende pas sur ces fécondes provinces pour tarir les germes de leur prospérité future. Dans la Péninsule, notre désintéressement seul fait notre force : nous devons rester les gardiens jaloux de sa grandeur et de sa nationalité, contre les autres aussi bien que contre nous-mêmes. M. Guizot a développé cette pensée avec un talent trop élevé en traitant le côté politique de cette question, pour que nous puissions redouter de le voir accueillir des ouvertures dont le but ne saurait échapper à personne. La conclusion du traité des cotons, refusée depuis quinze ans par le patriotisme espagnol aux insistances du cabinet anglais, serait, sous