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LES DEUX RIVES DE LA PLATA.

d’eau froide n’a guère d’inconvéniens au mois de février qui, par les 34 ou 35 degrés de latitude méridionale, répond à nos mois d’août. En vain les gouvernemens, quelque peu honteux de cette mode américaine, ont-ils essayé de la combattre ; ils n’ont réussi tout au plus qu’à la régler et à réprimer les excès. Nous avons vu des soldats de police, envoyés en patrouille pour veiller à l’exécution des ordonnances, recevoir gravement les projectiles et les seaux d’eau qu’on leur lance d’autant plus commodément que leur marche est plus lente. Toutes les terrasses se couvrent de femmes et d’enfans armés de parapluies, et dont la toilette est à dessein très négligée pour engager le combat. Les domestiques s’en mêlent librement ; ce sont des saturnales. Dans la rue, des hommes à cheval ou à pied, vêtus pour la circonstance, passent avec des paniers d’œufs qu’ils épuisent vite, et mettent leur gloire à passer au galop, sans être atteints, sous une grêle de projectiles qui vont salir les portes, les murailles et les trottoirs du côté opposé. Le général Rosas, gouverneur de Buenos-Ayres, prenait autrefois une part très active à ces jeux. On le voyait, il y a quelques années, parcourir la ville en costume qui ne sentait rien moins que l’étiquette, mouillant et mouillé, avec un entrain et une verve de jeune homme, et avec une de ces bonhomies à l’espagnole qui s’allient d’une façon étrange au plus terrible exercice d’un pouvoir sans bornes. Maintenant sa famille, qui aime beaucoup à se divertir, et dont les goûts naturels ne sont point gênés par des délicatesses d’emprunt, se livre avec une sorte de fureur à ces jeux du carnaval. Il l’y encourage, il applaudit de tout son cœur aux bons tours qu’elle a joués aux passans et aux voisins, et à l’énorme consommation d’œufs qu’elle a faite. Cela lui plaît, non seulement parce que cela lui plaît, mais parce que cela est du pays, parce que cela est populaire, américain et porteño. Quelque chose de plus raffiné, de moins bruyant, ne lui plairait pas au même degré. Chez cet homme singulier, l’instinct du pouvoir, le génie national et populaire se manifestent en tout ; il serait à désirer pour sa gloire que ce ne fût pas quelquefois avec excès, et que ce fût toujours aussi innocent.

Nous voilà bien loin des terrasses de Montevideo, qui nous ont entraîné à parler des jeux du carnaval, parce que sur les deux rives de la Plata les terrasses des maisons remplissent dans ces jeux le principal rôle ; mais aussi n’aurons-nous plus à y revenir. Nous sommes d’ailleurs bien sûr de réveiller plus d’un souvenir comique chez tous ceux de nos officiers de marine qui ont séjourné dans ces dernières