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LETTRES SUR LA SESSION.

résultats s’expliquent d’eux-mêmes, et n’ont dû surprendre personne. Je ne veux point me donner le triste plaisir de rechercher les fautes commises ; cependant je ne puis m’empêcher de faire ressortir une vérité qui n’est maintenant que trop démontrée : c’est que l’isolement n’est pas moins fatal aux individus que la division aux partis. Si tous les adversaires du cabinet avaient su s’entendre et convenir des conditions que chacun mettait à son concours, ou le combat n’eût pas été livré, faute de concert, ou il eût été couronné par le triomphe. La devise du peuple belge est une vérité vieille comme le monde ; elle remonte au jour où trois hommes se sont rencontrés. Je sais bien qu’on crie à la coalition, et que le mot est devenu pour beaucoup de gens un sujet d’épouvante. Mais les minorités politiques n’ont-elles pas été de tout temps des coalitions, et les majorités n’obéissent-elles pas aussi à la même loi ? Le ministère actuel, tout sympathique qu’il se dit, n’est-il pas composé d’élémens fort disparates ? Je me rappelle encore que le garde-des-sceaux du 12 mai sollicitait l’appui du centre gauche en menaçant les dissidens, comme d’un grand malheur, du retour de M. Guizot, dont il est aujourd’hui le collègue ; l’accession momentanée de MM. Dufaure et Passy au cabinet du 29 octobre était une véritable coalition, et dans le parti conservateur actuel se trouve bon nombre de membres qui diffèrent en beaucoup de points et ne sont unis que par un lien accidentel et passager.

De quels élémens d’ailleurs s’est composée la majorité ? Il importe de se rendre un compte exact des forces qu’elle a données au ministère, et de celles qu’elle a laissées à ses adversaires politiques.

La majorité a été de 40 voix, c’est-à-dire que 20 voix passant à l’opposition suffisaient pour renverser le cabinet. Cette majorité, si précaire, s’est donnée à lui sans goût et sans amour ; sans la direction prise par le débat, elle ne se serait certainement point formée. Si je pouvais vous présenter la liste des ennemis intimes du cabinet qui ne l’ont appuyé qu’à défaut d’un successeur connu, vous verriez toute la fragilité de la base sur laquelle repose l’édifice ministériel. Quelques voix sont venues de la gauche et de la droite, mais, à dire vrai, elles ont été peu nombreuses. C’est la fraction des centres connue pour craindre la politique de M. Guizot et pour désirer sa chute, qui, en votant encore pour lui, l’a soutenu et fait vivre. Du reste, jamais, depuis 1830, dans une question de confiance, aucun cabinet ne réunit une majorité moins nombreuse. En 1835, une réduction fut proposée sur les fonds secrets ; le ministère obtint 68 voix de majorité ; moins d’un an après, il était renversé. En 1838, sous le cabinet du 15 avril, 233 voix contre 184, majorité 49, rejetèrent une autre réduction proposée par M. Boudet ; le ministère tombait aussi un an après. Enfin en 1840, une proposition semblable, faite par les ultrà-conservateurs contre le ministère du 1er mars, réunit 158 voix contre 261 ; la majorité fut donc de plus de 100 voix. Précédemment, dans des votes de confiance proposés par le parti ministériel, qui n’attendait pas alors que l’opposition prît l’offensive, les majorités avaient été également plus fortes que