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assaillans, et que l’armée ne manque de direction et de discipline. Il est encore possible de remettre le feu aux batteries ; mais où est le plan de la journée, où sont les généraux ? Les huissiers ont annoncé que M. Billault est à la tribune, allons l’entendre ; il n’a pas cédé au découragement général ; toujours prêt, animé, incisif, il entend à merveille cette polémique qui n’oublie aucun sujet d’accusation, qui sait les grouper et en faire un corps. Il est chaleureux sans colère, complet sans prolixité, personnel sans injures. M. Duchatel et M. Teste ont demandé la parole et se disposent à lui répondre ; cependant à leur place se présente un de leurs amis, M. Janvier, esprit vif, preste et quelque peu mobile, qui a commencé par être du parti social avec M. de Lamartine, et qui appartient aujourd’hui au système du 29 octobre. Il a compris le péril et s’empresse de faire appel aux intérêts de parti, dernier, mais décisif argument des causes compromises. Les conservateurs iront-ils se décapiter en renversant M. Guizot ? En quelles mains passera l’influence, s’ils la laissent échapper ? À peine prend-il la défense du cabinet contre M. Billault, mais il a frappé juste et on l’a compris. Toutefois la question n’est pas encore résolue : on a parlé d’une scission dans le parti ministériel ; si elle éclate au grand jour, le cabinet peut tomber. M. Billault avait sommé les dissidens de se produire, M. Janvier les désigne à son tour : on dit qu’un discours foudroyant doit partir de leur sein. L’occasion serait belle, et il est des fortunes politiques qui se perdent en laissant échapper leur quart d’heure. Tout homme public a le sien, dont parfois dépend sa destinée entière. Quoi qu’il en soit, le discours ne sera pas prononcé. Cependant l’opinion qu’il devait défendre ne restera pas sans organe. Un homme de cœur et de talent, à qui pèserait le silence, M. de Carné, vient exprimer les honorables scrupules qui le séparent de l’ancienne majorité, et qui lui font désirer une combinaison nouvelle. S’il suffisait de quelques mots pleins de sincérité et de conviction, il déciderait de la situation ; mais cette protestation n’est que le cri d’une conscience inquiète et ne suffit point pour ramener les opinions ébranlées par les paroles des uns et le silence des autres. La victoire du ministère est désormais assurée. M. Lacrosse a présenté l’amendement qui porte en soi une déclaration formelle, de défiance, il le soutient avec vigueur et fermeté. M. Odilon Barrot fait entendre quelques mots empreints de ce caractère de loyauté et d’élévation qui lui appartient entre tous ; le cabinet lui répond avec plus de confiance que d’à-propos ; un appui inattendu lui est prêté par M. Mauguin, qui a déjà plus d’une fois, surpris le public et la chambre par ses allures étranges, et qui se livre à une de ces boutades qu’un homme d’esprit peut se permettre partout ailleurs qu’à la tribune. Sans convaincre personne, il fournit des argumens à ceux qui veulent soutenir le ministère tout en le poursuivant de leurs plaintes et de leurs défiances, et la chambre passe au vote au milieu d’une grande confusion. Le ministère obtient une majorité de 45 voix réduite à 40 par la constatation de trois erreurs matérielles, et la séance est levée.

Tel est le résumé fidèle de cette discussion parlementaire. Après cela, les