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LES DEUX RIVES DE LA PLATA.

dises et en causant d’affaires, à cet encombrement de charrettes qui viennent charger ou décharger les embarcations des bâtimens de commerce mouillés à très peu de distance, à cette multitude de manœuvres bronzés, cuivrés, haletans, criant, jurant dans toutes les langues, se révèle une population nombreuse, active, ardente au gain, peu homogène, et sans cesse recrutée par l’émigration européenne. Pénétrons dans la ville ; de tous côtés, elle pave, mal, mais vite ; de tous côtés, elle s’étend par des constructions nouvelles qui s’élèvent avec une incroyable rapidité. N’entrez pas dans ces maisons, les plâtres n’y sont pas secs, les papiers n’y sont pas collés, vous y aurez trop froid, vous y contracterez des maladies de poitrine. Mais ces maisons, elles sont toutes habitées ; on se les dispute, on les paie fort cher, on s’y entasse pour ne pas vivre dans la rue, et le mouvement des constructions ne suit qu’en boitant celui de la population qui le devance. Vous avez peut-être lu dans quelque voyage pas trop ancien, ou vous avez entendu dire à quelque officier de marine pas trop vieux, que Montevideo était une place de guerre, avec des murailles, des bastions, une citadelle, si bien que Montevideo avait soutenu des sièges ; oui, sans doute, mais nous avons changé tout cela. La République Argentine et l’empire du Brésil, en établissant par le traité de 1828 l’indépendance de la République Orientale, ont rendu à Montevideo le service de stipuler que ses fortifications seraient démolies, et elles l’ont été. Aussi, à la première occasion, la ville s’est échappée joyeusement dans la campagne. Plus de portes, plus de remparts, plus de citadelle. De grandes et belles rues se prolongent dans la direction de l’isthme qui fait de Montevideo une péninsule, et l’ont déjà dépassé. On a utilisé, pour faire un marché, l’ernplacement de la citadelle et ce qu’il n’a pas fallu démolir. Toute cette partie de la ville appelée le Cordon, et le prolongement de la grande rue du Porton vers la campagne, sont remplis de maisons élégantes, dont les terrasses et les miradores voient de plus près les quintas ou les jardins d’alentour, sans perdre pour cela le spectacle animé du port et la perspective lointaine des grands bâtimens de guerre dont la mâture se détache sur l’horizon lumineux ou se dessine vaguement dans la brume.

Si la plupart des maisons anciennes n’ont qu’un rez-de-chaussée, la plupart des maisons de construction nouvelle, qui sont les plus nombreuses, ont un étage, parce que l’on commence, depuis deux ou trois ans, à sentir la nécessité d’économiser le terrain qui a pris une grande valeur. La ville peut sans doute s’étendre fort loin dans la di-