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L’ÉDUCATION RELIGIEUSE EN ANGLETERRE.

n’invente pas du matin au soir un nouveau système de gouvernement ; tous les airs se ressemblent un peu, et tout dépend de la manière de les jouer.

Pour ne parler que de l’Angleterre, nous y voyons plusieurs grands partis très nettement dessinés et de couleurs très tranchées aux extrémités ; mais ces nuances pâlissent singulièrement à mesure qu’on approche du point de jonction. Quelle différence y a-t-il, par exemple, entre la politique de sir Robert Peel et de M. Gladstone et celle de lord Melbourne et de lord John Russell ? En trois ou quatre mois, sir Robert Peel a fait plus de réformes dans le système commercial de l’Angleterre, qu’on n’en avait fait depuis cinquante ans, et il les a faites, bien que les électeurs lui eussent donné le pouvoir expressément pour ne pas les faire. Les whigs étaient tombés parce qu’ils avaient voulu toucher aux lois des céréales et aux tarifs ; le premier acte des tories a été de réformer les lois des céréales et de réduire les tarifs. Lord John Russell est assurément l’homme d’état le plus entreprenant de l’Angleterre, à ce point qu’un de ses amis, un homme très incisif et très excentrique, le révérend M. Sydney Smith, l’a caractérisé en disant de lui qu’il était si brave, qu’il n’hésiterait pas à se jeter la tête la première du haut du dôme de Saint-Paul avec la conviction qu’il se retrouverait sur ses pieds. Mais si lord John Russell avait osé proposer le rétablissement de l’income-tax, il aurait fait un saut encore plus périlleux, tandis que sir Robert Peel a su faire passer cette grande mesure avec une majorité conservatrice. N’est-ce pas une preuve qu’en réalité toute la politique se réduit aujourd’hui à une question de tendance et à une question de confiance ?

Le parti conservateur en Angleterre avait très bien compris cette situation quand il avait arboré le drapeau de l’église. Il avait été battu sur la grande question de la réforme ; au lieu de chercher à remonter le courant et de perdre ses forces dans des tentatives inutiles de réaction, il fit appel au peuple et aux sentimens religieux des masses ; il déplaça la lutte et la transporta sur un terrain plus étendu ; il identifia son avenir avec le principe du maintien de l’église établie. Mais depuis qu’il est revenu au pouvoir, a-t-il rendu à l’église ce que l’église lui avait donné ? Non, et tant s’en faut. La loi des pauvres a été maintenue intacte par le nouveau ministère ; le plan de Church Extension n’a pas trouvé plus d’appui auprès de l’administration tory qu’il n’en avait trouvé auprès de l’administration whig, et sir Robert Peel n’a pas bâti plus de clochers que lord John Russell. Cependant, au milieu de cette inaction, dont elle ne laisse pas d’être mécontente, l’église est plus tranquille, parce qu’elle sait que l’on tombe du côté où l’on penche, et que depuis la chute des whigs la tendance du pouvoir a changé de côté.

C’est ainsi que nous voyons en ce moment le ministère tory, dont tous les membres avaient combattu le plan d’éducation proposé par lord John Russell, en présenter un à peu près semblable. En présence de l’ignorance et de la dégradation croissante des classes pauvres, il était impossible de rester les bras croisés et de laisser grandir ces germes redoutables de révoltes et de crimes.