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L’intempérance, dans les classes inférieures, mène presque toujours au crime, mais n’est-ce pas aussi l’ignorance et pour ainsi dire la barbarie de l’intelligence qui mène à l’intempérance ? Ce qui serait dépensé par l’état pour l’éducation des classes pauvres ne serait-il pas épargné sur les frais nécessités par la répression des crimes ? Il y a en Angleterre une disproportion honteuse entre le budget de la police et le budget de l’instruction publique, entre le chiffre des fonds appliqués à l’éducation du peuple et celui des fonds dépensés dans la poursuite et le châtiment des criminels. En 1841, le budget des prisons, des maisons de correction et de la police rurale, s’est élevé à la somme de 604,965 liv. st. ou 15 millions de francs, et la somme votée par le parlement pour l’éducation publique dans tout le royaume ne s’élève annuellement qu’à 30,000 liv. st. ou 750,000 francs. Il y a un des comtés de l’Angleterre, le Lancashire, qui, à lui seul, absorbe en frais criminels plus de 25,000 liv. st., c’est-à-dire une somme à peu près égale à celle du budget total de l’instruction publique.

Il est bien vrai que cette insuffisance des allocations faites par l’état est jusqu’à un certain point compensée, en Angleterre, par le produit des contributions volontaires, et que, en réalité, la somme annuelle votée par la législature n’est qu’une subvention accordée aux deux grandes sociétés organisées pour l’éducation des pauvres : la Société nationale et la Société anglaise et étrangère. Ce sont ces deux associations qui, en ce moment encore, dirigent et administrent l’instruction du peuple. Elles avaient d’abord été fondées sur le principe de l’égalité religieuse ; mais, comme cela devait nécessairement arriver en Angleterre, où l’on ne connaît pas la neutralité en matière de religion, elles n’ont pas tardé à prendre couleur et à se ranger, la première sous la tutelle de l’église établie, la seconde sous le drapeau multicolore des sectes dissidentes. La Société nationale, placée sous la direction des évêques et des ministres anglicans, a donc pris un caractère exclusif, tandis que la Société anglaise et étrangère, à peu près abandonnée aux dissidens, restait ouverte à toutes les communions. On a voulu faire à cette dernière société un mérite de son libéralisme, mais il ne faudrait cependant pas oublier qu’en se dépouillant de tout caractère exclusif elle ne fait qu’agir selon le principe fondamental du dissent, qui est la liberté de conscience.

Quand on parle de l’Angleterre, il faut nécessairement parler de religion ; toutes les questions qui sont agitées dans ce pays ne peuvent être qu’imparfaitement comprises si on ne les envisage pas sous ce point de vue, et, de toutes ces questions, il n’en est pas une qui soit plus immédiatement sous l’influence des considérations religieuses que celle de l’éducation. Tous les gouvernemens de l’Europe, instruits par les évènemens terribles qui ont marqué les soixante dernières années, ont dirigé leur attention vers l’instruction du peuple ; on pourrait croire que l’Angleterre, où l’église règne avec l’état, a devancé sur ce point les autres pays : il n’en est rien, et sir James Graham confessait lui-même la coupable négligence du gouvernement anglais à cet