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L’ÉDUCATION RELIGIEUSE EN ANGLETERRE.

disait lord Ashley, comment s’étonner que le crime abonde dans une ville où tout y pousse ? On compte, à Manchester, 129 pawnbrokers (prêteurs sur gage), 1,267 cabarets, 695 maisons de prostitution, et 763 filles publiques dans les rues. Dans les autres grands centres de population, à Birmingham, à Leeds, on retrouve le même spectacle, et partout c’est la classe la plus jeune qui fournit au crime le plus fort contingent. On voit figurer dans les tables des enfans de sept et huit ans, et un très grand nombre au-dessous de quatorze ans. On peut lire dans un des rapports de la police : « Il y a des cabarets avec des chambres où garçons et filles montent deux par deux ; généralement le commerce des sexes commence à quatorze ou quinze ans. Il y a des cabarets où on ne reçoit que des enfans. » Un autre rapport dit qu’on voit dans ces maisons des enfans de douze à quatorze ans qui amènent avec eux des filles du même âge. Dans les derniers troubles des districts manufacturiers, les garçons de quinze ans formaient la plus forte portion des insurgés. La ville de Sheffield ne fut préservée d’un incendie et d’un pillage organisés que par une révélation accidentelle. Une troupe considérable d’hommes et d’enfans se mit en marche pendant une nuit, et ne fut arrêtée dans son œuvre de destruction que par des mesures de défense prises sur le moment. On saisit sur ceux qui furent pris une grande quantité de chausses-trapes destinées à estropier les chevaux, des piques et des combustibles. Plusieurs d’entre eux s’étaient engagés à mettre le feu à leurs propres maisons pour commencer l’incendie général de la ville.

L’état de profonde ignorance des enfans et des jeunes gens est la cause première de cette démoralisation. On en voit, dans les interrogatoires, répondre que Ponce-Pilate et Goliath sont des apôtres. D’autres n’ont jamais entendu prononcer le nom de Jésus-Christ, ni celui de la reine, ni celui de Bonaparte, ni celui de Wellington ; ils ne connaissent que les noms des bandits célèbres dont on a mis les aventures en roman, comme Dick Turpin et Jack Sheppard. D’autres répondent que Jésus-Christ était un berger, que Dieu a envoyé Adam et Ève sur la terre pour nous sauver, qu’ils n’ont jamais entendu parler de Dieu, et qu’ils ont seulement entendu dire god damn… ; qu’ils ne savent ce que c’est que la France, ou l’Écosse, ou l’Irlande, ou l’Amérique.

Dans les districts à mines, la promiscuité des sexes et l’emploi des femmes pour les travaux les plus durs engendrent une dépravation effrayante. Les filles acquièrent toutes les habitudes des hommes, elles montent à cheval, boivent, jurent, sifflent, se battent, et se moquent du reste. « Les hommes et les garçons, dit un des inspecteurs, n’ont pour tout vêtement qu’un pantalon ; les femmes et les filles n’ont qu’un jupon en lambeaux et une chemise ouverte, sans manches. » Le jeu et l’ivrognerie sont les vices les plus répandus dans ces classes ; hommes, femmes et enfans, vont dans les cabarets pour jouer du gin ; on a calculé que les classes ouvrières dépensent annuellement plus de 25 millions sterling en liqueurs fortes (625 millions).