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velle et chaque jour croissante issue du développement immodéré de l’industrie, sans traditions, sans souvenirs, sans foyer paternel, sans foi, sans loi. Aussi voyons-nous depuis quelque temps l’attention de la législature se diriger de ce côté d’une manière aussi constante que significative. Les deux chambres du parlement ont retenti du récit de la détresse des classes laborieuses ; après les plaies matérielles, les plaies morales de la nation ont été exposées et mises à nu devant le monde, et l’Angleterre a vu avec effroi que de ces millions d’enfans, qui grandissaient chaque jour dans les foyers de l’industrie, la plus grande partie n’avait pas plus de Dieu que de pain. Il a bien fallu ouvrir les yeux à la lumière. Il y a à peine quatre ans, un ministre disait dans le parlement que, dans quatre villes seulement, plus de 80,000 enfans n’avaient aucune notion d’instruction ou d’éducation, et il ajoutait : « Dans ces 80,000 enfans sans religion, si toutefois ce n’est pas une dérision de parler de religion à propos de créatures si ignorantes, vous pouvez voir les chartistes de la génération qui vient. »

On l’a laissée imprudemment grandir, cette génération redoutable ; c’est elle qui remplit aujourd’hui les villes, et il a fallu qu’elle prouvât sa présence par une explosion dont l’écho dure encore, pour que la législature songeât enfin sérieusement à conjurer le danger qui menace la société. Lord Ashley, qui, dans les questions qu’on est convenu d’appeler sociales, a pris depuis quelque temps dans son pays la plus honorable initiative, a appelé dernièrement l’attention de la chambre des communes sur l’état religieux et moral des enfans des manufactures, et a donné à ce sujet des détails pleins d’intérêt.

En 1801, la population de l’Angleterre proprement dite, y compris le pays de Galles, était de 8,872,980 individus, et en 1841, elle était de 15,906,829, accusant une augmentation de plus de 8 millions en quarante ans. En portant à un cinquième de la population le nombre des individus susceptibles de recevoir une certaine éducation, on a le chiffre de 3,181,365. En déduisant de ce nombre un tiers, comprenant les enfans élevés aux frais de leurs familles, de plus 50,000 enfans entretenus dans les maisons des pauvres, et 10 p. 100 pour les absens, il reste encore 1,858,819 individus dont l’éducation est à la charge de l’état. Or, les tables de statistique montrent que le nombre des enfans élevés dans la communion de l’église établie est de 749,626, et celui des dissidens de 95,000. Il resterait donc encore 1,014,193 individus dénués de toute espèce d’instruction et d’éducation ; et si l’on considère l’augmentation croissante qui doit s’effectuer dans la population, d’environ 2,500,000 individus tous les ans, on comprend quels nouveaux élémens de désordre doivent successivement s’amasser dans une société ainsi composée. C’est naturellement dans les grandes villes que l’état moral de la population présente le spectacle le plus alarmant. À Manchester, il est entré dans les prisons, en 1841, 13,345 individus, dont 3,069 avaient moins de vingt ans, et dont 745 étaient des femmes. Dans les six premiers mois de 1842, sur le chiffre de 8,341, il y avait 5,810 hommes et 2,531 femmes. Mais comment,