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La population s’est considérablement accrue, sous le régime de la liberté et sous l’empire de la paix. La petite île de Syra, qui ne renfermait que quelques maisons, compte aujourd’hui vingt mille habitans. Il ne se passe pas de semaine qu’elle ne lance un navire à la mer. Athènes n’existait plus, pour ainsi dire, après la guerre ; à peine quelques masures étaient encore debout : Athènes renferme aujourd’hui une population de trente mille ames, qui s’accroît chaque jour. Enfin, et c’est là ce qui, malgré toutes les difficultés du présent, répond de l’avenir, le peuple a un profond sentiment de nationalité, un vif et sincère amour de la patrie. Il croit à lui-même, il croit à ses destinées. Il peut faire des fautes, mais il est plein de confiance et de courage. Il se sent Grec, il se veut libre, il se rêve grand. Avec cela, on peut tâtonner, hésiter, souffrir : on ne périt pas.

Rien ne fait mieux sentir ce que vaut la Grèce que de voir la Turquie. Athènes est une bourgade en comparaison de Constantinople, l’immense capitale ; mais Athènes vit, et Constantinople meurt. Ici est l’ardeur imprévoyante de la jeunesse, là l’impuissance résignée de la décrépitude. Ce contraste frappe le voyageur à tout moment ; il le retrouve partout, jusque dans la physionomie ouverte, bienveillante, animée, du jeune roi de la Grèce, et le visage blême et mélancolique de ce prince à peu près du même âge, et qui semble destiné à être le dernier sultan.

Ce qui est surtout honorable pour la nation et pour le gouvernement grec, c’est le zèle que tous deux ont déployé pour fonder l’instruction dans un pays qui semblait si peu préparé à la recevoir. La passion d’apprendre est encore un trait fondamental et glorieux du caractère grec. À ce signe seul, on reconnaîtrait les descendans du peuple qui a inventé les sciences de l’Occident. Cette passion est commune en Grèce à tous les rangs de la société. Ce proverbe populaire a cours parmi les paysans de la Morée : « Celui qui ne connaît pas les lettres n’est pas un homme. » Les villageois d’Éleusis savent dans le plus grand détail tout ce qui concerne les cours et les professeurs de l’université d’Athènes. L’un d’eux disait : « Je dépenserai tout ce que je pourrai dépenser pour l’éducation de mes enfans, parce que maintenant je vois que l’instruction est la chose dont nous avons besoin. Nous ne savons rien, mais il faut que nos enfans sachent. » Un dernier trait montrera jusqu’où peut aller aujourd’hui chez les Grecs ce besoin d’apprendre. Jamais il n’y eut de type plus parfait du héros que ce simple et courageux Canaris, ce matelot qui, après s’être recommandé à Dieu, montait dans une barque et s’en allait à