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qui est assez heureux pour ne faire ni l’un ni l’autre ; M. Glaize, qui a su donner à son tableau des Baigneuses un air de maître, et ne nous trompe pas tout-à-fait par cette apparence ; M. Ad. Leleux, avec ses Chanteurs espagnols ; M. Léon Cogniet, avec son Tintoret ; M. Papety avec son Rêve de bonheur, MM. Horace Vernet, Granet, Charlet, et plusieurs autres encore. La régularité de la méthode nous ôte ce plaisir. Elle nous ramène devant des toiles plus tristes, comme, par exemple, celles de M. Schopin.

La peinture de cet artiste, si popularisée par l’aqua-tinte, la lithographie et le pointillé, est difficile à définir, et ne vaut pas peut-être la peine qu’on se donnerait pour cela. Disons seulement qu’elle est très goûtée et mérite de l’être par ceux qui ne savent pas qu’il peut y avoir un naturel, une vérité, une élégance, une grace, un goût, non-seulement étrangers à l’art, mais qui même l’excluent. C’est à la fois tout ce qu’il y a de plus joli, et par cela même de moins beau. Ceci s’applique principalement aux petites compositions de cet artiste, telles que son Moïse sauvé du Nil, sujet précédemment traité par Nicolas Poussin, quoique d’une manière moins agréable.

M. Schopin en veut absolument, à ce qu’il paraît, à Poussin, car il l’a défié encore une fois dans un sujet bien autrement sérieux. Il a refait le Jugement de Salomon ; mais, peu content probablement du style de son émule, il a essayé d’y substituer le sien, qui est en effet tout ce qu’on peut concevoir de plus différent. Au lieu de ces draperies qui sentent trop la statue et le mannequin, et peu conformes d’ailleurs à la vérité historique, il a revêtu ses personnages de ces beaux habits orientaux qu’on trouve chez les costumiers de théâtre. Il a jugé aussi que les poses des personnages de Poussin étaient trop académiques ; il s’est rapproché en conséquence de la nature. Le jeune roi a les deux poings fermés, serrés, presque crispés, ce qui indique sans doute la tension de son cerveau de juge. Nous avons vu quelque part la bonne mère qui enroule ses deux bras autour de son enfant ; c’est, sauf erreur, un souvenir de M. Delaroche, qui lui-même s’était souvenu du Guide. La mauvaise mère, debout, le poing sur la hanche, la mine effrontée, a l’air d’apostropher le tribunal en termes qui ne se trouvent que dans le dictionnaire de Vadé. Telle est la Bible selon la traduction de M. Schopin. Nous ne lui conseillons pas d’aller faire juger son tableau à Rome.

Une transition brusque nous conduit au Jérémie de M. Henri Lehmann. Nous persistons à croire que cet artiste sort un peu de la sphère, sinon de la portée de son talent, en abordant les sujets de haut style. Il est plus maître de lui et plus sûr du résultat dans les