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dans cette épreuve, l’injustice du jury, qu’ils disent si grande, parût en définitive au public fort petite. Les ouvrages refusés, pris en masse, composeraient assurément une galerie peu agréable, et les meilleurs ne sont pas positivement des chefs-d’œuvre. Exhiber toute cette défroque est le plus dangereux des partis. Les mauvais ouvrages admis condamnent les juges ; mais les refusés condamnent les plaignans. Les artistes refusés doivent, s’ils sont sages, s’assurer le bénéfice de l’incognito, qui leur permet d’élever la voix, de crier aussi haut qu’ils veulent sans crainte d’être contredits. Sans doute, plusieurs d’entre eux pourraient s’exposer sans inconvénient et même avec avantage à l’épreuve ; mais ce n’est pas là le cas du plus grand nombre. Or, que ferait-on de ceux-ci ? Il est impossible qu’on songe à montrer tout ; il faudra nécessairement qu’on choisisse pour donner quelque apparence à ce salon improvisé ; et voilà qu’on tombe immédiatement dans les exclusions, dans les catégories, dans les jurys. Décimés déjà par le comité du Louvre, les artiste se résoudront-il à se décimer encore entre eux ? De quel air les victimes de cette seconde épuration recevront-elles cette nouvelle sentence d’interdit ? Refusés deux fois par le jury officiel d’abord, puis par leurs compagnons d’infortune, il ne leur restera d’autre ressource que de se recevoir eux-mêmes ; et nous aurons alors on ne sait combien de salons au petit pied, en lutte ouverte d’anathèmes, de protestations et d’exclusions !

Tout cela est insensé, et, nous l’espérons, ne se réalisera pas. Il faut que les artistes se persuadent bien que, s’il n’y a pas, comme on le dit, de salon sans jury, il est bien plus sûr encore qu’il n’y a pas de salon sans Louvre. Le Louvre, c’est la royauté ; c’est aussi la nation : c’est le panthéon du pays dans le domaine de l’art. C’est là et non ailleurs que se trouvent la consécration du temps, la grandeur et l’éclat des souvenirs, l’autorité des traditions, la splendeur monumentale, le prestige d’une solennité publique, en un mot tout ce qui attire, entraîne, éblouit et impose. Dans les conditions où l’art est placé à notre époque moderne, le salon est le seul foyer de vie et d’action publique qui lui reste. L’art n’est plus un besoin, mais un noble plaisir de l’esprit ; il n’est plus un des organes essentiels de la société, il est devenu un simple spectacle. Pour que ce spectacle soit grand, beau et moral, il faut le soutenir à la hauteur d’une institution nationale et royale ; or cette institution est le salon, et son théâtre est le Louvre. Hors du Louvre, il n’y aurait plus de salon ; il n’y aurait que des boutiques de tableaux. L’art aujourd’hui ne pourrait