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promesses, et où lui-même peut-être, se voyant poussé à l’extrémité, se jettera la tête la première dans une entreprise dont il sent la démence ? Les chances de collision grandissent de jour en jour ; les vieux souvenirs, les haines héréditaires se réveillent ; les spectres des martyrs et des persécuteurs sortent de la poussière des anciens champs de bataille, et l’odeur du sang commence à monter à toutes les têtes. Voyez comme il a suffi l’autre jour de la violente sortie d’un journal pour mettre en déroute la bourse de Londres ! C’était un appel aux armes, c’était le vieux cri des guerres religieuses : Israël, à vos tentes ! Et au même moment, cinq mille orangistes irlandais saccageaient un village catholique. C’est une chose remarquable que les premières mesures de répression qu’ait prises le gouvernement tory aient été dirigées contre son propre parti. Pendant que le ministère offre 100 louis de prime à qui fera saisir les coupables, M. O’Connell n’a qu’à dire un mot pour que les flots du peuple rentrent dans leur lit. Pourra-t-il toujours les contenir ? Quand l’appel aux armes tombe du haut des chaires, quand le signal de l’action part des bouches que le peuple est habitué à révérer, sera-t-il assez fort pour résister au torrent ? Ce que l’agitation actuelle a de plus grave, c’est que le clergé presque tout entier, depuis le prêtre de campagne jusqu’à l’évêque, s’y est rallié sans réserve. Les prédications de la ligue pâlissent devant les harangues brûlantes que les évêques irlandais adressent à leurs ouailles. Écoutez l’évêque d’Ardagh : « Je défie, disait-il, tous les ministres anglais d’arrêter l’agitation dans mon diocèse. Si on nous empêche de nous rassembler en plein air, nous nous retirerons dans nos chapelles, et nous suspendrons toute autre instruction pour prêcher le rappel. S’ils assiégent nos temples, nous préparerons notre peuple aux circonstances, et s’ils nous traînent à l’échafaud, nous lèguerons, en mourant, nos griefs à nos successeurs. Qu’ils viennent, s’ils l’osent. Je ne suis rien, je suis un enfant du peuple, et je m’en fais gloire. Je ne dois rien à l’aristocratie, et je n’ai pour elle qu’un mépris sans bornes… » Un autre évêque, celui de Killaloe, disait aussi : « Dieu tout puissant ! je crois qu’ils nous menacent de la guerre. En vérité, ils connaissent bien peu le peuple d’Irlande. Ne voient-ils pas que, dans l’état où il se trouve, la guerre ne peut avoir de terreurs pour lui ! » Et deux à trois cents mille hommes applaudissent avec enthousiasme à ces sorties passionnées, et la presse nationale y fait écho dans un langage aussi violent. « Il y a quelque chose dans l’air, disait un journal de Dublin ; nous touchons à une crise. Les nuages se sont accumulés pendant long-temps, et on disait : Oh ! c’est un grain, cela passera ! mais voici que l’orage envahit le firmament. Le cœur de l’Irlande bat plus vite. Surveillons la tempête, mesurons nos forces et préparons-nous.

La presse protestante répond de son côté : « On nous a jeté le gant ; il est temps d’agir. Le triomphe de Rome en Irlande non-seulement éteindrait la lampe de vérité dans cette malheureuse terre, mais amènerait bientôt la submersion du monde entier dans les ténèbres du papisme. Nous ferons notre devoir. »