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arrivé que les nouvelles idées, fort répandues dans la masse des artistes, et surtout parmi les jeunes gens, sont restées sans adhérens et sans représentans dans l’Académie, et par suite dans le jury, ce qui fait naturellement craindre qu’elles n’y soient l’objet d’une défiance et d’une répugnance plus ou moins exclusives. Et cette supposition n’est certes ni gratuite ni blessante ; il est tout simple qu’on n’approuve pas ce qu’on n’aime pas. En matière d’art surtout, chose en définitive toute de sentiment, les sympathies ou les répulsions des goûts individuels se formulent avec une étonnante facilité en théorie, principalement chez les hommes du métier. On peut être aisément éclectique et tolérant en peinture et admirer concurremment Rubens et le Poussin, Ingres et Delacroix, quand on n’en fait pas ; mais, lorsqu’on en fait, c’est bien différent. On n’aime, on ne sent, on ne comprend bien, dans ce cas, que ce qui ressemble à ce qu’on fait ou qu’on croit faire soi-même, et plus l’individualité de l’artiste est forte, moins il est disposé à sympathiser avec les individualités d’un autre type. Il n’y aurait donc rien d’improbable que le jury se fût laissé aller, à son insu, et par l’impulsion secrète, mais irrésistible, de consciencieuses convictions, à une intolérance qui, quoique désintéressée dans son principe, n’en a pas moins, en fait, les conséquences et les caractères extérieurs d’un déni de justice. Si en outre on réfléchit que les sévérités du jury portent habituellement et à peu près exclusivement sur des sectateurs du nouveau goût, ces conjectures acquerront toute la notoriété dont les faits de cette nature sont susceptibles.

Ceci nous conduit à une autre remarque. Il se pourrait, et on l’a même dit positivement, que le jury, ainsi prédisposé à n’accepter pour bon que ce qui l’est d’une certaine manière, eût, dans l’exercice prolongé et non contrôlé de ses fonctions, érigé ses goûts en axiomes et ses habitudes en système ; qu’il en fût venu à croire qu’il avait comme dépositaire privilégié du goût et des bons principes, la mission de surveiller, redresser, diriger, gouverner l’art, et le droit de se servir, dans ce but, des admissions comme moyens d’encouragement et de récompense, des rejets comme moyens de censure et de correction. Une pareille prétention ne soutiendrait pas un instant l’examen. Les attributions du jury actuel, comme des précédens, sont plus modestes ; elles consistent ou doivent, du moins selon nous, consister uniquement en ceci : décider si le morceau de peinture ou de sculpture qui lui est présenté est le fruit d’un travail consciencieux, l’œuvre d’une main suffisamment exercée dans la tech-