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REVUE DES DEUX MONDES.

AFFAIRES D’IRLANDE.

Monsieur, vous avez déjà parlé de l’Irlande, mais les affaires de ce pays ont pris, dans ces derniers temps, un tel caractère de gravité, qu’il ne peut être superflu d’en parler encore. La question irlandaise paraît dominer en ce moment les autres préoccupations de l’Angleterre ; cette plaie séculaire, qui semblait se fermer peu à peu, s’est ouverte tout à coup plus large et plus vive que jamais. Les difficultés ont l’air de naître les unes des autres sous les pas du gouvernement anglais. Aux embarras extérieurs succèdent les embarras intérieurs, dont l’état de l’Irlande constitue sans contredit le plus sérieux. Il est facile de voir que l’Angleterre commence à douter de sir Robert Peel. Il a beaucoup mieux résolu les questions extérieures qu’il ne paraît devoir aplanir les difficultés intérieures. Il a mis fin à la guerre dans l’Inde, à la guerre dans la Chine, aux chances de guerre en Amérique et même en Europe, mais il n’a pas eu le même bonheur quand il s’est trouvé aux prises avec les complications domestiques. Jamais peut-être homme d’état ne s’était vu placé dans une position plus magnifique ; mais aussi plus périlleuse. Son pays avait en lui une confiance sans bornes ; il avait mis toute sa foi, tout son espoir dans son expérience, dans son esprit de ressources. Le vaisseau de l’état, et nul pays ne peut mieux que l’Angleterre justifier l’emploi de cette locution un peu banale, le vaisseau de l’état allait droit sur les brisans, et il fallait une main ferme et sûre pour l’arrêter dans cette course précipitée. Quelqu’opinion qu’on pût avoir de sir Robert Peel, tout le monde néanmoins s’accordait à reconnaître qu’il était l’homme désigné par la voix publique. Il arriva donc au pouvoir en maître, en dictateur, porté par la nécessité, et il en usa sans réserve. On se souvient encore de ces séances solennelles où, au milieu d’un silence de mort et de l’anxiété universelle, le chef du gouvernement exposait ses plans dans un superbe langage. C’était le beau temps de sir Robert Peel ; ç’a été un moment unique dans sa vie, moment d’audace et de triomphe qui ne se voit pas deux fois.

Il n’a fallu que quelques mois pour retourner la médaille. Le premier ministre avait taillé dans le vif sans s’inquiéter de blesser ses amis plus encore que ses ennemis ; il avait remanié de fond en comble toute l’économie politique de l’Angleterre, parce qu’à de grands maux il fallait de grands remèdes. On a attendu le résultat, puis il s’est trouvé, que, malgré des ressources extraordinaires, les ressources des temps de guerre, le budget n’était pas mieux portant qu’autrefois. L’insuccès de ses mesures financières a été le premier échec de sir Robert Peel, la première atteinte portée à sa renommée d’infaillibilité. Populaire, il ne l’a jamais été, il ne l’est pas, il ne le sera jamais, parce que son caractère, public et privé, n’y prête pas. Mais on comptait sur lui comme sur un homme inépuisable en expédiens ; on l’attendait à l’œuvre avec une sécurité qui avait quelque chose de très alarmant pour lui. Aussi, qu’est-il arrivé ? Il n’y a pas deux ans qu’il est au pouvoir,