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REVUE. — CHRONIQUE.

succès. D’abord le sonnet vertueux dont il a fait hommage à Mme Dorval, a paru généralement manquer de tact et d’esprit. Ces vers martelés ne rappellent en rien le jet gracieux des stances que Voltaire, après les succès de Zaïre, adressait à Mlle Gaussin. La correspondance en prose de M. Ponsard avec quelques journaux nous semble encore moins heureuse. Placé dans une situation délicate, par les hasards de la polémique, entre ses opinions littéraires d’il y a trois ans et sa reconnaissance d’aujourd’hui, M. Ponsard n’a trouvé, pour panser les blessures d’un célèbre académicien froissé dans la bagarre, que des excuses étranges, accompagnées d’injustes récriminations contre la critique. Nous ne voulons pas venir ici en aide à l’auteur de l’article sur Lucrèce. Il a repoussé sans peine, et comme il le devait, un blâme immérité. Au reproche d’avoir indiscrètement cherché sous de simples initiales le nom de M. Ponsard, il a répondu que ce mode de signature au bas d’articles littéraires équivalait au nom entier, et personne assurément ne le démentira. Mais, en vérité, notre collaborateur aurait pu faire à M. Ponsard une réponse tout autrement catégorique. Il n’y avait rien à chercher, rien à deviner. Nous avons ouvert à l’endroit cité la Revue de Vienne, et nous avons reconnu que les plaintes élevées par l’auteur de Lucrèce portent complètement à faux. Si son nom ne figure pas en toutes lettres à la page 494, au-dessous de l’article dans lequel Arbogaste est si cavalièrement jugé, on lit, six feuillets plus loin, dans la table du troisième volume, page 500, que l’article intitulé De Mademoiselle Rachel, de Corneille, de Racine et de Shakspeare est… de M. F. Ponsard, tout au long. De quoi donc se plaint le poète viennois ? Est-il bien loyal, pour parler comme lui, de se retrancher derrière les initiales de la page 494, quand le prétendu anonyme se trouve levé six pages plus loin ? Est-il surtout bien loyal, quand on a écrit, en 1840, l’article que nous rappelons, et quand on a conçu et composé une pièce dans la forme et dans le mètre assouplis par la nouvelle école, de se jeter à corps perdu dans les bras de ceux dont on a traité les œuvres de friperie dédorée et hors de mode ? En outre, la lettre de M. Ponsard à M. Viennet contient des hérésies plus graves, que la critique ne peut laisser passer sans réclamation « Je n’ai fait que Lucrèce, je n’ai produit au jour que Lucrèce ; je ne veux être jugé que sur Lucrèce, » s’écrie incessamment M. Ponsard. C’est-à-dire qu’il serait loisible à un écrivain de soustraire au contrôle de l’opinion publique ce qu’il a livré antérieurement à l’impression ! Nous convenons que ce procédé serait, en bien des circonstances, extrêmement commode. Il offrirait surtout de précieux avantages à ceux qui ont professé des opinions de circonstance ; on ne pourrait plus les mettre en contradiction avec leur passé, ni discuter leurs variations ; il ne serait plus permis de demander à un nouvel écrivain d’où il vient et où il va ! C’est là, en vérité, une prétention exorbitante et un inconcevable mépris du droit d’examen. Dès ses premiers pas dans la carrière, M. Ponsard se montre plus intolérant, plus superbe, plus impatient de la contradiction que les maîtres de l’école aujourd’hui régnante. Ceux-ci contestent, il est vrai, la compétence de la critique contemporaine ; mais ils ne limitent pas du moins, au gré de leurs caprices ou de leurs intérêts, le champ