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porte dans une autre arène les procédés qu’au XVIe siècle et même, à ce qu’il paraîtrait, au nôtre, ont les champions qui s’engagent dans les tournois théologiques : de sorte qu’en définitive il y a dans le roman de Dinah un mauvais goût d’une nature différente, mais dont le lecteur a le droit d’être tout aussi blessé que de celui qui triomphe dans Honorine.

Jusqu’à présent, il ne s’est point trouvé sous notre plume de noms nouveaux : excepté les faux ouvrages de Walter Scott, nous n’avons examiné que les produits des pourvoyeurs habituels du public. Il est cependant, au milieu des œuvres que hasardent ceux autour desquels la lumière ne s’est point faite encore, deux livres qui se recommandent l’un par d’aimables qualités, l’autre par des traces de consciencieuse étude : le Beau d’Angennes, de M. Auguste Maquet, Édouard Aubert, de M. Alfred Leroux. Le Beau d’Angennes est un roman d’une facile lecture, et, ce qui nous semble un fort grand mérite, n’annonçant aucune autre prétention que celle d’amuser. M. d’Angennes est un gentilhomme du temps de Louis XV, aussi bien tourné que M. de Létorière ; mais les graces de sa personne lui sont funestes, au lieu de lui être utiles. Il a le malheur de captiver en même temps Mme de Saint-Prie, la maîtresse du duc de Bourbon, et Mme de Pléneuf, la mère de Mme de Saint-Prie. La fille et la mère sont presque d’une égale beauté ; le malheur ne serait donc point très grand, s’il pouvait cultiver à la fois les deux liaisons que lui vaut sa bonne mine. C’est, hélas ! ce qui est impossible. Ces deux femmes sont animées l’une à l’égard de l’autre d’une intraitable jalousie. Après une série d’aventures, sa double intrigue, qui avait commencé par deux brevets de capitaine expédiés à son adresse le même jour, finit par deux lettres de cachet qui amènent chez lui à la même heure un détachement de gardes françaises et une escouade de mousquetaires. En faisant résistance aux soldats, il reçoit un coup d’épée qui l’affranchit de la Bastille, mais prive le service du roi et celui des belles d’un des corps les plus charmans qu’ait jamais renfermés un des élégans uniformes du XVIIIe siècle. De l’invention et de la rapidité, voilà ce qui donne de l’attrait à ce livre. Ce qui manque encore à M. Auguste Maquet, et ce qu’il est bien à désirer cependant de voir pénétrer dans le roman, c’est cette force de pensée et de langage due à l’étude au moins autant qu’à la nature, d’où naissent toutes les qualités de l’écrivain, même la légèreté. Le Beau d’Angennes est une composition où il y a de la facilité, mais de la faiblesse. M. Maquet a placé son action dans le XVIIIe siècle, et rien dans les paroles que prononcent ses personnages n’indique qu’ils portent la poudre, qu’ils vivent au temps des petits soupers et du bon plaisir. Sans entraver un roman de considérations sociales et de détails historiques, on peut et l’on doit, quand ce roman se passe à une autre époque que la nôtre, chercher à le faire constamment sentir par une étude savamment cachée du temps que l’on a choisi. Si vous me transportez au XVIIIe siècle, sachez me mettre dans cette atmosphère pleine d’un chaud parfum de volupté que je respire en lisant le Sopha et les Liaisons dangereuses. Que chaque regard dont s’éclairent