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la réforme, et ne s’en retire que plus dévoué à la croyance catholique, et lorsque les révolutions nouvelles éclatent, il lui est resté de toutes ses épreuves un caractère national si bien à lui, que seul on le voit remonter péniblement son passé, tandis que le reste du monde se précipite en désordre, à la voix de la France, sur la pente de l’avenir.

La domination française altéra jusqu’à un certain point l’originalité de ce peuple si long-temps stationnaire. En l’enchaînant à son destin, la république le contraignit d’entrer dans le courant du siècle. Par la suppression des couvens, elle détruisit l’influence temporelle de la religion ; par la vente de leurs biens, devenus nationaux, elle démocratisa la propriété. L’empire consomma cette œuvre de rénovation, et le code civil, qu’il aura la gloire d’avoir rendu partout également populaire, a constitué sans retour la société belge sur le modèle de la société française. Ce sont là d’immenses réformes ; de même qu’en France, elles n’ont point eu leur restauration. La réaction de 1814 ne fut que politique ; la conquête de 1794 avait été sociale. C’est pourquoi, dans le grand classement des nations modernes, la Belgique occupe désormais sa place du côté où campent les forces de la révolution, et, sous peine de suicide national, il ne lui est pas permis d’être transfuge. La Belgique est française par ses lois, par l’institution nouvelle de la propriété, par la suppression de ses anciennes castes, et surtout par cette vie intime d’un quart de siècle, par ces souvenirs brillans de périls et de gloire partagés avec la France impériale, que, dans son juste orgueil, elle ne répudiera jamais. Quelques années enfin lui ont suffi, dans le dernier siècle, pour franchir la distance énorme qui la séparait du peuple progressif par excellence. Mais on aurait tort d’en conclure qu’une nation qui avait tant gardé de son passé ait pu se transformer radicalement dans une crise aussi courte qu’elle fut terrible. Quoique initiée à une existence nouvelle, elle est toujours au fond la fille posthume du moyen-âge. Elle lui doit toujours ce qu’elle a de force et de vitalité propre, et tant de traits qui la distinguent de la famille française. Sa résistance de quinze ans au mariage que lui avait imposé la sainte-alliance l’a bien prouvé, et la pensée de cette résistance ne lui est pas venue après coup, comme on le croit généralement. Elle a précédé l’union même. En effet les notables, consultés en 1814 pour l’acceptation de la loi fondamentale, la repoussèrent à la majorité des votes : le souverain du nouveau royaume, imitant l’exemple de la convention passa outre ; mais le fait a subsisté. Plus tard, quand la