Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/990

Cette page a été validée par deux contributeurs.
984
REVUE DES DEUX MONDES.

évènemens matériels ou moraux qui n’appartiennent qu’à lui, qu’on ne saurait attribuer à nul autre.

Le peuple belge, celui que nous voyons aujourd’hui régulièrement constitué, est descendu, comme toutes les autres nationalités européennes, de la société religieuse du moyen-âge ; seulement il en est sorti, non point tout d’une pièce et compacte, mais par fragmens et par lambeaux. C’est ce qui fait qu’il semble né d’hier. Ici les chances, les vices même de l’établissement féodal, ont laissé tomber une semence impérissable dans les entrailles de la civilisation, et en ont en même temps étouffé le développement. Gouvernés par des vassaux de la couronne de France, les comtés de Flandre, de Hainaut et de Namur, ainsi que le duché de Brabant, si proches du foyer de puissance dont rayonnait celle de leurs seigneurs, auraient dû, dans le cours naturel des progrès et des envahissemens de l’unité monarchique, y faire retour long-temps avant toutes les autres provinces du royaume. S’il en est, au contraire, qui semblaient ne devoir jamais se reprendre au grand corps dont elles avaient été démembrées, c’étaient bien plutôt celles dont la position excentrique, reculée encore par la barrière de la Loire, protégeait l’isolement. Cependant il est arrivé que les rois de France ont fini par arracher même la Guienne à des feudataires aussi redoutables que l’étaient les rois d’Angleterre, et quoique, depuis Philippe-Auguste jusqu’à Louis XIV, aucun n’ait perdu de vue la nécessité de reconquérir les provinces belges, ils n’ont réussi, en définitive, qu’à en recouvrer la limite extrême. Tout a tourné contre eux : leur politique traditionnelle, leurs desseins les mieux préparés, et le hasard même, qui amenait des dés si imprévus dans le jeu de la loterie féodale.

Ainsi, l’affranchissement des communes a plus gagné de villes aux monarques français que leur bon droit et leur épée. C’est pourtant ce grand acte imité par le seigneur de la Flandre qui a commencé à éloigner d’eux la possibilité de la lui reprendre un jour. Par des causes qu’il serait superflu d’énumérer ici, les communes de cette petite contrée s’élevèrent bientôt à un si haut degré de force et de richesse, que, rien qu’en agitant la bannière de leurs métiers, depuis Ypres jusqu’au port de Damme, elles faisaient sortir du sol des armées d’artisans, et voyaient se hérisser les remparts des outils du travail aiguisés en instrumens de guerre. Là, le contrepoids que les rois avaient voulu établir pour balancer la puissance de leurs grands vassaux rompit de lui-même un pénible équilibre. La bourgeoisie, devenue puissance à son tour, n’était fidèle à son maître que quand