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DE LA POÉSIE DE M. DE LAMENNAIS.

lequel il verse ses trésors d’éloquence et de poésie. Dans Isaïe, on ne voit pas un rôle appris, un masque emprunté ; il n’y a rien chez lui du comédien, et, pour parler sa langue, du farceur. Tout dans l’homme sous la parole duquel se courbait Ézéchias est grave, et c’est par la vérité morale qu’il s’élève aux plus grands effets de l’art. Mais parodier les prophètes quand on a déserté la voie lumineuse et sacrée qui conduit de Moïse à Jésus-Christ, quand on s’est mis en dehors de toute tradition, quand on dénonce au monde avec une joie folle l’agonie et la mort prochaine du christianisme, c’est accuser soi-même la futilité mensongère de ses conceptions et de ses chants, c’est se placer au nombre de ces esprits mauvais dont parle l’Écriture, de ces faux prophètes qu’a dépravés l’orgueil et qui parlent au nom de dieux étrangers.

Y a-t-il eu imprudence ou perfidie de la part de certains amis de M. de Lamennais quand, à propos des Amschaspands et Darvands, ils ont évoqué le souvenir des Lettres Persanes ? Ce rapprochement est à lui seul une critique cruelle. Montesquieu a écrit ses Lettres Persanes avec un esprit tout-à-fait maître de lui-même. Il raille agréablement ses contemporains, mais il n’a jamais songé à les calomnier, à les insulter. On sent qu’il aime cette société dont il fait une malicieuse peinture. Usbek écrit à Ibben : « Les hommes n’ont pas, en Perse, la gaieté qu’ont les Français : on ne leur voit point cette liberté d’esprit et cet air content que je trouve ici dans tous les états et dans toutes les conditions. » Les Persans de Montesquieu se plaisent au milieu des Français, tout en signalant leurs travers. « On dit, écrit l’un d’eux, que l’homme est un animal sociable. Sur ce pied-là, il me paraît qu’un Français est plus homme qu’un autre : c’est l’homme par excellence, car il semble être fait uniquement pour la société. À Paris règnent la liberté et l’égalité… » Jusque dans ses jugemens les plus rigoureux, Montesquieu sait garder une mesure pleine de discrétion et de goût. Il écrivait en 1721, au plus fort de la réaction contre Louis XIV ; il est sévère à son égard ; il le montre plaisamment ayant un ministre qui n’a que dix-huit ans et une maîtresse qui en a quatre-vingts. Néanmoins, tout en le censurant, il ne dégrade pas le monarque illustre qui vient de disparaître ; il sait se mettre à part de la foule brutale qui jeta des pierres contre le cercueil du grand roi. Il y a aussi des portraits dans les Lettres Persanes, mais ils ne sont pas l’œuvre d’un libelliste effréné ; sans maudire personne, Montesquieu réussit, par ses piquantes esquisses, à se mettre