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DE LA POÉSIE DE M. DE LAMENNAIS.

d’un lieu-commun aussi plat. Toutefois il ne se décourage pas, il poursuit. Cette fois, il s’attaque à une grosse question, au gouvernement représentatif sur lequel ont médité les plus grands esprits. Qu’en dit M. de Lamennais ? Sur ce point, sa pensée n’est pas ambiguë : la théorie des trois pouvoirs est une indigne jonglerie, et l’équilibre de ces pouvoirs est à la fois une mystification et une bêtise… Ah ! Monsieur l’abbé, permettez : Aristote, qui était un grand homme, et, comme dit Sganarelle, beaucoup plus grand que vous et moi, ne pensait pas ainsi ; et c’était précisément le spectacle des démocraties grecques, de leurs excès, qui lui avait fait devancer par d’admirables pressentimens l’expérience des temps modernes et les appréciations de Montesquieu.

Nous arrêterons-nous à réfuter gravement M. de Lamennais, quand il nous représente la science financière comme un brigandage organisé, l’administration de la justice comme la violation systématique de tout droit humain ; et cela dans un pays dont l’Europe admire les finances, et dont la magistrature a su conquérir par sa haute probité l’estime universelle ? L’esprit d’imprudence et d’erreur s’est emparé de l’écrivain, et lui souffle les plus étranges billevesées. La fureur qui anime M. de Lamennais contre nos institutions sociales a dépravé sa raison ; quand on se met à s’insurger contre le bon sens, il a une terrible façon de se venger, il abandonne entièrement ceux qui l’outragent. Quelle pitié d’entendre M. de Lamennais s’agitant comme un insensé s’écrier : « Qu’est-ce aujourd’hui que les religions ? Mensonge. Qu’est-ce que la justice, les lois, la politique ? Mensonge. Tous mentent, prêtres, rois, grands, petits. » À l’en croire, pour que le monde soit régénéré, il ne faut pas qu’une institution, qu’une idée reste debout ; il faut que tous les systèmes s’éteignent, et s’éteignent ensemble ; c’est seulement de cette manière que les peuples se trouveront préparés à recevoir une doctrine commune. Que devient donc alors la vérité de cette belle parole de Leibnitz, que le présent est gros de l’avenir ? On croyait jusqu’ici que les choses humaines s’amélioraient par le travail d’une transformation successive. Erreur, tout doit périr. M. de Lamennais veut mettre de ses mains l’humanité au tombeau : seulement alors il se charge de la ressusciter. Étrange sauveur ! Tout nier, tout détruire, telle est l’unique tendance de l’écrivain, et cette manie est chez lui tellement tyrannique, qu’elle ne lui permet pas même d’épargner, nous ne dirons pas d’anciens systèmes, mais les tentatives qui se sont pro-