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DE LA POÉSIE DE M. DE LAMENNAIS.

n’est qu’un moyen de donner un libre cours aux passions de l’écrivain. — Misérable excuse : la poésie ne jaillit pas du mensonge ; elle sort avec tous ses charmes des profondeurs du vrai. L’art, s’il veut exercer de l’autorité sur les ames, doit avoir ses convictions, garder sa dignité, ne pas descendre à illustrer sciemment l’erreur. Philosophe, M. de Lamennais raille les chrétiens qui pensent que le mal existe ; poète, il veut nous épouvanter avec l’image du mal, de ses ravages et de son empire : il ne croit donc pas parler à des hommes ? Il faut dans l’artiste plus de respect pour soi-même et pour les autres. M. de Lamennais veut célébrer la puissance du mal, et il a rejeté loin de lui la religion qui inspira Milton ! Au poète chrétien qui croit à la corruption naturelle de l’homme et à la rédemption du genre humain par le sang sacré du Sauveur, à celui-là seul appartient le droit de nous faire peur, avec saint Paul, de la servitude du mal et du péché.

Contradictions fondamentales, contradictions de détail abondent dans le livre de M. de Lamennais. Jamais les idées d’un écrivain ne furent troublées par plus d’anarchie. Le commerce est flétri sous le nom de trafic par M. de Lamennais ; il place ceux qui s’y livrent sous la direction particulière d’un des génies du mal. Cependant l’auteur reconnaît que l’ardeur de produire, c’est-à-dire l’industrie, doit servir à réaliser la liberté future du monde : or, comment, sans le commerce, l’industrie aurait-elle cette puissance ? Dans un autre ordre d’idées, nous surprenons M. de Lamennais faisant de la politique conservatrice en l’honneur des femmes. Il nous montre l’homme se laissant entraîner par l’orgueil de l’esprit et de la science, cherchant dans sa vaine et débile raison à ébranler les bases de l’ordre et de l’intelligence même, tandis que la femme, éclairée d’une lumière plus intime et plus immédiate, les défend contre lui et conserve dans l’humanité les croyances, les vérités nécessaires, les lois de la vie intellectuelle et morale. Nous ne reprocherons pas assurément à M. de Lamennais de répéter ici ce qui a été dit si souvent de la salutaire puissance de la femme chrétienne sur la famille et la société ; mais quelques lignes plus loin, il nous dit que c’est la femme qui enfantera l’avenir qu’attend l’humanité ; ce qui est une contradiction ou une prodigieuse naïveté. Il est clair que l’avenir, quel qu’il soit, ne peut sortir que des entrailles de la femme. Nous ne sommes pas fâchés au reste de voir M. de Lamennais louer les femmes de toutes les façons, soit comme élément conservateur, soit comme élément révolutionnaire. Il leur devait une réparation, car