Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/976

Cette page a été validée par deux contributeurs.
970
REVUE DES DEUX MONDES.

ceux-là sont les purs enfans de la lumière, ils sont l’objet de toute la sollicitude d’Ormudz et de ses amschaspands, qui les inspirent et les dirigent ; enfin déjà sur la terre ils deviennent jusqu’à un certain point amschaspands eux-mêmes. Voilà des catégories dont il faut bien reconnaître la largeur et la simplicité. D’un seul coup, par cette grande répartition, M. de Lamennais a fait justice de tout le monde ; il a mis à sa droite les bons, imperceptible minorité ; il a rangé à sa gauche les méchans, majorité immense, et il les envoie lui-même suivant leurs mérites, avec l’autorité d’un vrai mage, dans le royaume des ténèbres ou dans l’empire de la lumière.

En faut-il davantage pour reconnaître dans quel déplorable désordre est tombé l’esprit de M. de Lamennais ? Délaissé par ses croyances anciennes, dans la douloureuse impuissance d’en trouver pour lui et pour les autres de nouvelles, sans direction, sans lumière, M. de Lamennais a cherché au hasard un cadre où il pût jeter pêle-mêle toutes les pensées discordantes dont il est agité. Il a mis la main sur la mythologie persane, il s’est emparé de cet antique dualisme d’Ormuzd et d’Ahriman, il a cru qu’il pourrait commodément placer sous cette vieille rubrique tout ce qu’il aurait à dire sur les sujets les plus opposés. Dans son poème, les questions les plus disparates se heurtent les unes contre les autres. Il n’est pas rare de voir l’auteur oublier la forme qu’il a choisie pour disserter en son propre nom. Ainsi le génie Bahman écrivant au génie Schahriver, qui est un des amschaspands environnant le trône d’Ormuzd, lui parle de la législation romaine sur le divorce. Cette confusion anarchique de tous les tons et de tous les sujets produit sur l’esprit du lecteur l’impression la plus désagréable, et il lui faut un singulier courage pour avancer dans ce chaos fastidieux.

Il est impossible de prendre au sérieux les amschaspands et les darvands de M. de Lamennais, quand on se rappelle que tout récemment il a nié l’existence du mal, dont il fait aujourd’hui la base de son poème. « À proprement parler, a écrit M. de Lamennais dans l’Esquisse d’une Philosophie, le mal n’existe point. » L’auteur s’élève dans ce livre contre le dualisme du bien et du mal, il s’y attache à détruire de fond en comble la théorie chrétienne du péché originel, à démontrer qu’il n’y a point eu de déchéance, et que la déchéance n’est autre chose que la création elle-même. Si telles sont maintenant les opinions philosophiques de M. de Lamennais, comment peut-il venir nous chanter aujourd’hui le règne du mal sur la terre ? — Mais, dira-t-on, ne prêtez pas tant d’attention à la forme ; elle