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DE LA POÉSIE DE M. DE LAMENNAIS.

fessant encore une foi vive dans la divine révélation du Christ que partait un cri d’anathème contre les puissances de la terre. M. de Lamennais invoquait le nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit : il répétait avec saint Jean que le Verbe s’était fait chair, qu’il était venu dans le monde et que le monde ne l’avait pas connu, et ses dernières paroles montraient à la fin des temps la nature languissante et malade tout-à-fait transfigurée, parce qu’une goutte du sang de l’agneau tombait sur elle. Ce mélange de mysticisme chrétien et d’extrême démocratie produisit une impression profonde : il attira l’attention de la foule, celle des hommes politiques et des philosophes. Il semblait qu’avec ce prêtre l’autorité de la religion passait elle-même du côté des principes et des passions révolutionnaires : devant un fait pareil toutes les autres considérations disparaissaient. On ne s’arrêta guère à examiner le mérite intrinsèque et la valeur littéraire des Paroles d’un Croyant. La signification de l’œuvre était tout entière dans le caractère de son auteur et dans le parti qu’il prenait. D’ailleurs, pour le succès de ce chant biblique, le temps était favorable : il y avait alors dans l’atmosphère je ne sais quoi de brillant et de fiévreux. La société qu’avait remuée à fond la commotion de 1830 semblait encore tourmentée par l’attente d’autres mouvemens. Ainsi on voit parfois dans la nature les derniers et sourds murmures d’un orage expirant se mêler aux bruits avant-coureurs de tempêtes nouvelles.

Les Paroles d’un Croyant furent l’apogée du christianisme de M. de Lamennais. Chose étrange ! C’est à partir de la publication de ce petit livre où l’exaltation révolutionnaire se mettait sous la consécration de l’Évangile, que successivement tous les sentimens chrétiens de M. de Lamennais s’évanouirent ; il s’en détacha comme d’un vêtement importun et passé de mode. Le Livre du Peuple, en 1838, nous montra bien encore M. de Lamennais saluant dans le Christ le législateur suprême et dernier de l’humanité ; mais il donnait à sa loi une interprétation qui n’était celle ni du catholicisme, ni du protestantisme ; il demandait à la religion chrétienne le bonheur matériel et terrestre, il y voyait surtout un moyen d’arriver à la souveraineté et à la félicité du peuple. L’auteur de l’Essai sur l’Indifférence s’égarait alors dans une sorte de néo-christianisme bien fait pour jeter ses lecteurs en d’étranges perplexités. Il voulut enfin, par l’Esquisse d’une Philosophie, entrer dans une voie toute nouvelle. Ce fut un assez piquant spectacle pour les philosophes de voir l’homme qui avait prodigué tant d’injures à la raison et à Descartes, demander la