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autour de soi la contagion ; alors on cherche avec labeur des formes auxquelles on attribue la puissance de rendre populaires les sentimens dont on est tourmenté. Dans ce pénible effort, l’artiste se met au service, sous le joug du démagogue. Ces préoccupations fanatiques enfantent des œuvres ambitieuses et médiocres, sans harmonie, sans unité, sans poésie : on y voit l’écrivain, le romancier, tout sacrifier à la prédication de mensongères et subversives pensées. L’action qu’ils déroulent, les personnages qu’ils mettent en scène, les mœurs qu’ils leur attribuent, tout est subordonné à la thèse dont ils poursuivent la démonstration servile. Le fond outrage la raison, et les défectuosités de la forme offensent douloureusement le goût. L’art a des lois qu’on n’enfreint pas impunément, et les téméraires qui les ont méconnues se trouvent n’avoir abouti qu’à se mettre eux-mêmes en dehors des conditions du vrai et du beau.

Ces réflexions qu’à plusieurs reprises certaines compositions contemporaines, surtout dans ces dernières années, sont venues éveiller dans notre esprit, pourquoi faut-il que nous y soyons ramenés par le poème en prose que publie aujourd’hui M. de Lamennais ? Nous éprouvons quelque embarras, nous ne le cacherons pas, à parler de cette production étrange : il est pénible d’avoir à signaler les aberrations du talent. Cependant, devant cette publication nouvelle, la critique philosophique et littéraire ne saurait rester muette. Après l’exposition didactique de ce qu’il nomme sa philosophie, M. de Lamennais nous livre une œuvre d’imagination ; il a voulu se faire poète, il a voulu donner aux idées qui lui sont chères une expression assez retentissante pour être entendue de tous. Il faut bien apprécier ce qui s’annonce avec une pareille ambition. Seulement, sous notre plume, la critique s’attachera à se montrer aussi calme et aussi mesurée que le livre dont nous devons l’examen à nos lecteurs est violent et désordonné. M. de Lamennais a des calomnies et des injures pour toutes les institutions de son pays, pour la plupart des hommes éminens de son époque : néanmoins notre critique n’a pas le dessein d’exercer contre lui de sanglantes représailles ; nous ne voulons que le juger, et souvent même nous ne pourrons nous empêcher de le plaindre. En effet, comment se défendre d’une amère douleur en voyant une haute intelligence se rabaisser elle-même par les haines furieuses et les folles chimères dont elle est devenue la proie ?

Quand, il y a neuf ans, M. de Lamennais publia les Paroles d’un Croyant, il était encore chrétien. C’était de l’ame d’un prêtre pro-