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diose. Par une bizarrerie très remarquable dans la sculpture hindoue, les hommes ne sont jamais représentés nus, tandis que les femmes n’ont souvent d’autre vêtement que la parure de la tête et les pendans d’oreille. Le roc, large de quatre-vingt-dix pieds sur une hauteur de trente environ, est un gigantesque bas-relief sur lequel se meuvent soixante figures humaines, sans compter une foule de gazelles, de lions à la crinière frisée comme le lion héraldique, d’oiseaux de toute espèce, et surtout deux éléphans un peu plus grands que nature. Sous les jambes du plus colossal sont quatre petits, dont l’un se prosterne devant la divinité un peu fruste, cachée sous un dais, à laquelle tous ces êtres rendent hommage[1].

Les chapelles nombreuses creusées sur les deux côtés de cette colline de granit et à moitié masquées, dans la partie occidentale surtout, par des buissons épineux où l’on risque de laisser lambeaux par lambeaux sa jaquette blanche et son pantalon de toile, et où l’on tremble à chaque pas de marcher sur un serpent ; ces chapelles, bien moins profondes, bien moins imposantes que les grottes d’Élephanta, se font cependant remarquer, celles-ci par la hardiesse des compositions, la vivacité des poses, celles-là par le fini de l’exécution et la beauté du dessin ; elles semblent être autant de reposoirs où s’arrêtait l’idole dans sa procession fatigante vers une dernière pagode, aujourd’hui ruinée, qui couronnait la crête du roc. Les bas-reliefs sont souvent disposés à droite et à gauche du fond, qui en est la partie principale, et rappellent en peinture les tryptiques des anciens maîtres allemands. Plusieurs des sujets qu’ils représentent sont peu intelligibles aux Européens, car nous n’avons point encore de traductions ni de textes imprimés des dix-huit Puranas ; cependant sur les parois de la plus considérable de ces excavations, on reconnaît l’incarnation de Vichnou en sanglier (vahâharatara), ailleurs Dourga, la femme de Civa, montée sur un lion, agitant ses huit bras armés, et s’élançant à la poursuite des Asouras (démons). Autour de la déesse s’agite un cortége redoutable de guerriers dont le principal personnage est un géant à tête de bœuf, qui, la massue à la main, semble guider et entraîner l’armée sur ses pas. Plus loin on voit la divinité sous le parasol, dans son attitude sereine et divine ; un antilope et un lion sont debout près d’elle ; ailleurs elle est assise sur un trône, entourée de servantes qui lui apportent des cruches pleines

  1. La Société asiatique de Calcutta possède dans son musée un grand tableau de Daniell qui représente toute cette partie du roc de Mahabalipouram.