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CHILLAMBARAM ET LES SEPT PAGODES.

point de remarque utile à la navigation ; le brahmane, intéressé à cacher dans la nuit des temps l’origine d’un mystérieux travail dont la date reste ignorée, veut que toutes les grottes de la presqu’île aient été creusées par les Pandous, demi-dieux du Mahabharata ; il existe parmi les Hindous cinq à six autres explications toutes aussi inacceptables que celle-ci. Les pagodes ont leurs légendes conservées par les prêtres, rédigées sous forme de puranas, des titres de propriété, des grants of land, gravés sur des plaques de cuivre, portant donation du terrain, le tout accompagné de dates ou au moins du nom des donataires, princes et radjas connus dans l’histoire. C’est à l’aide de ces documens et des inscriptions qui parfois couvrent les édifices de haut en bas, qu’on a pu lever jusqu’à un certain point le voile qui cache les siècles intermédiaires du brahmanisme. Les caves n’ont que des inscriptions en caractères fort anciens, très courtes, moins légendaires que sentencieuses ; et point de puranas locaux, ni de titres de dotation, car rien ne prouve qu’elles impliquassent possession du terrain, puisqu’elles se cachaient sous le rocher[1]. Ces monumens sont donc plus anciens que les autres, c’est là un fait incontestable. Cependant, comme la presqu’île ne fut guère explorée ni surtout habitée par les Hindous avant notre ère, on est forcé d’admettre que ces travaux peuvent tout au plus compter deux mille ans d’existence ; ils appartiennent à la période romane de la péninsule et au moyen-âge du brahmanisme.

Arrivé au village, je m’étais installé sur la veranda d’une chauderie faisant face à la grande place ; je vis s’élever aussitôt une rumeur, un alboroto parmi les brahmanes, et leur chef vint me dire qu’il m’était impossible de camper au lieu réservé à ses collègues, surtout un jour de grande fête. Alors je priai le pandit de m’assigner un logement, et il me désigna celui que j’eusse choisi si je l’avais osé, un temple souterrain situé précisément entre le grand roc chargé de sculptures et la chapelle de Krichna. Cette chapelle, peut-être la plus ancienne de toutes, est remarquable par la naïveté des figures. Krichna debout, le bras tendu, soutient le plafond de sa main puissante ; autour de lui sont rangées les filles des bergers ; des pâtres jouent de la flûte, d’autres traient les vaches c’est une idylle gran-

  1. Ainsi, l’inscription en ancien tamul, citée par Babington, et qui parle de donation, s’applique à une pagode, et non à une cave, car généralement les temples de ce dernier genre ne servent plus à la célébration des sacrifices, bien que les figures dont ils sont remplis soient tirées du panthéon hindou, à de rares exceptions près