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laquelle se cache quelque pagode invisible dont toute la contrée célèbre la fête.

La nuit tomba sur cette scène pastorale assez semblable à celles que décrit Tchatour-Bhoudj Misr dans son Premsâgar (océan d’amour)[1]. Et songeant à la réforme du brahmanisme, dont cet ouvrage est l’histoire, et qui, par ses tendances à un culte plus adouci, offre de si singuliers rapports avec le paganisme grec, je me mis à cheminer à pied, à la lueur des étoiles, jusqu’à un village où je trouvai l’hospitalité dans un mandaba (reposoir) soutenu par de lourds piliers. J’y reposai, adossé aux plus obscènes sculptures, en compagnie d’une vieille femme idiote et d’une petite vache fort turbulente, qui galopait sans cesse et s’en allait fréquemment boire à l’étang. L’animal était le dieu du parvis, la folle pouvait être quelque ame en peine possédée d’un esprit surnaturel ; les chauves-souris énormes planaient d’un vol fantastique sur les eaux blanches du réservoir entouré de grands arbres ; quelques oiseaux aquatiques debout sur une patte, pareils à des sentinelles, se tenaient çà et là au bord du bassin ; parfois ils prenaient leur vol l’un après l’autre, troublés dans leur repos par le passage d’un chien errant que l’obscurité cachait à mes yeux, puis retombaient un peu plus loin dans la même posture, dans la même immobilité. C’était une nuit magnifique, qui invitait plus à marcher qu’à dormir ; aussi, je repris bientôt ma route, impatient d’arriver enfin à Mahabalipouram.

L’ensemble des monumens compris sous cette dénomination se compose d’un groupe de sept rochers taillés en pagodes, de deux temples élevés au bord de la mer, et d’une grande quantité de reposoirs, de chapelles creusés dans le rocher principal, ainsi que de figures sculptées sur la pierre, à ciel ouvert. Décrire tout cela serait répéter en partie ce qu’ont dit Langlès dans ses Monumens de l’Hindostan, et après lui le docteur Babington dans le deuxième volume des Transactions de la Société Asiatique de Londres. Cependant, sans copier ses devanciers, chaque voyageur a peut-être le droit de parler à son tour et à sa manière de ces ruines gigantesques, souvenirs d’un autre âge, de proposer au lecteur cette énigme historique dont le mot n’est pas trouvé encore.

Le marin qui dépend de la brise, c’est-à-dire du présent, ne voit dans ces édifices, nommés par lui les Sept Pagodes, autre chose qu’un

  1. Cet ouvrage, devenu fort rare dans l’Inde, est une histoire de Krichna et des bergers du pays de Bradj qui avaient voué à cette divinité un culte spécial.