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caressé par tous les croyans, et véritable dieu du temple, dont la superstition lui accorde la possession pleine et entière. Puis, quand le soleil a descendu un peu vers l’invisible montagne de l’ouest, derrière laquelle il se dérobe chaque soir, un certain mouvement succède au repos de la sieste. Quelque troupe bruyante de musiciens sort de l’une des chapelles et se dirige hors de la pagode pour accompagner un poudja, une procession, dans un reposoir voisin. Ce sont des flageolets aigus criant à l’unisson, de petites cymbales de cuivre, et un double tambour placé sur le dos d’un bœuf, que frappe avec de courtes baguettes un timbalier à cheval sur la croupe. La foule suit, disparaît sous les larges portes ; l’Européen resté seul rentre en lui-même. Après avoir admiré le travail humain de ces beaux édifices, il rêve au vide du sanctuaire où sont inscrites des formules dénuées d’enseignement, où tout parle à l’esprit sans toucher le cœur, où tout est calculé pour subjuguer l’ame par les sens, pour l’enfermer dans une barrière de dogmes inexorables dont les brahmanes même ont si bien caché les entrées qu’ils ne les peuvent retrouver.

En 1750, la divine image de Wallyamman, le palladium de la pagode, fut une fois encore enlevée du sanctuaire ; les trois mille prêtres, au nombre desquels Civa s’honorait d’être compté, furent réduits à fuir devant l’invasion musulmane des nababs voisins. Les Français, commandés par Villeneuve, se retranchèrent dans cette immense enceinte, trop difficile à défendre ; trois des portes furent bouchées avec des pierres. Leurs alliés élevèrent autour du mur extérieur de petits bastions moresques, et il fut un instant question de flanquer de tours massives ce paisible édifice, transformé en citadelle par les mécréans. Pour comble de profanation, des parias serviteurs de l’armée tuèrent des bœufs en face de l’image du taureau ; sous ce même temple, dans cette chapelle aux mille colonnes, ananda chabeï (la chapelle de la béatitude sans fin), les officiers français donnèrent à leurs ennemis, pendant les suspensions d’armes, des banquets et des fêtes. Cela dura dix années. Le 19 mars 1760, après une de ces vigoureuses résistances auxquelles ils avaient habitué les Anglais, nos soldats, européens et cipayes, capitulèrent, la dynastie musulmane du Mysore succomba, la France perdit son influence et à peu près ses colonies : l’image vénérée revint à son sanctuaire, et les brahmanes reprirent possession de leur agraharam (village de religieux), bien appauvri, même en proportion du nombre des desservans, qui ne s’élève pas à plus de trois cents désormais.

Pensant avec tristesse à ceux de nos compatriotes qui gisent en-