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tradition, fort obscure, n’en présente pas moins au lecteur attentif quelque allusion à un fait historique, que voici en substance. Vers la fin du premier siècle de notre ère, les djaïnas tout-puissans firent cesser les sacrifices brahmaniques, détruisirent les temples ; afin de venger son culte proscrit, Civa envoya une pluie de feu, ou, pour substituer l’histoire à la légende, les civaïstes se soulevèrent et brûlèrent les djaïnas dans leurs demeures. De cette colère de Civa naquirent trois rois qui se baignèrent ensemble au lieu où trois rivières se joignent, près de Condjevaram, firent serment de rétablir le civaïsme dans tout son éclat, et, en récompense de leur dévouement, le dieu lui-même, sous la forme d’un brahmane, fit connaître à l’un d’eux l’endroit où, lors des persécutions, les habitans avaient caché leurs richesses et les saintes images. C’est donc à tort que les desservans de Chillambaram font remonter à l’an 400 du Calyouga (de l’âge de fer ou âge actuel), correspondant à l’an 607 avant Jésus-Christ, l’érection d’un monument qui ne put, d’après leur propre Pourana, être construit avant le second siècle de notre ère. N’est-ce pas déjà une respectable antiquité ? D’ailleurs, de très anciens ouvrages disent qu’un million d’aumônes à Benarès ne vaut pas plus qu’une seule faite à Sitambara. Et Civa, dans les mêmes textes, dit aussi : « Je suis un des trois mille prêtres établis à Sitambara. » Avec de pareils souvenirs, une pagode ne peut manquer d’être célèbre dans tout le pays, d’attirer un concours rassurant de pèlerins, n’eût-elle que seize siècles d’existence.

Derrière cette enceinte est l’étang sacré, auquel on descend par de belles marches régnant sur les quatre faces du parallélogramme, entouré de galeries où les baigneurs font sécher leurs écharpes et leurs turbans, lavés chaque jour. Quant au pagne des hommes, et à la pièce de toile bariolée dont s’enveloppent les femmes, ce sont les indispensables vêtemens que jamais un Hindou ne quitte ; on les frotte dans l’eau en prenant le bain. Aussi, dans cette piscine où se plongent à la fois tant de personnes de tout âge et des deux sexes, il ne se passe rien qui puisse choquer la décence ; d’ailleurs, le bain est un acte religieux. L’autre piscine, fermée au public, est couverte d’une coupole à peu près moresque, d’une architecture charmante et d’apparence plus moderne ; les trois boules dorées qui surmontent cet édifice lui donnent l’aspect plutôt d’une mosquée que d’une pagode.

Une galerie de cent colonnes, aujourd’hui en assez mauvais état, était le principal reposoir où l’on plaçait l’idole avant de la conduire