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CHILLAMBARAM ET LES SEPT PAGODES.

voué à Vichnou, comme l’indiquaient la couleur jaune de sa tunique, de son turban et de son écharpe flottante, le chapelet pendu à son bras, la triple ligne tracée sur son front[1]. Un serviteur, un disciple, le suivait à pied, portant les bagages et l’éventail. Le djogui trottait sur un petit cheval birman, et nous montrait la route. Déjà, au-dessus d’un bouquet d’arbres gigantesques apparaissaient les sommets des pyramides bâties sur les portes de la pagode. Une large chaussée établie dans une plaine basse traverse en plus d’un endroit des marais à sec depuis plusieurs mois. Le soleil descendait ; une poussière dorée voilait les dernières lignes de l’horizon ; le crépuscule jetait une teinte violette sur cette campagne attristée. Dans le lointain résonnait un son plaintif et vibrant tour à tour, pareil à l’appel et au soupir d’une poitrine humaine. C’était le poudja (l’adoration) du soir qu’annonçait la conque des brahmanes.

Le bangalow (maison de poste destinée aux Européens) se composait, selon la coutume, de deux chambres ; l’une était occupée par des ingénieurs anglais, l’autre me servit de campement. Il nous paraîtrait naturel que des voyageurs réunis par le hasard dans un pays lointain échangeassent quelques paroles amicales ; mais l’étiquette britannique ne procède pas ainsi ; ce serait s’exposer à se compromettre avec une personne d’une classe inférieure ; aussi chacun reste dans son coin, s’ennuie, se gourme : on dirait deux ennemis qui s’observent. Cependant la chaleur trop accablante obligea les gentlemen aussi bien que moi à dormir à la belle étoile sous les verandas.

Je m’éveillai, sinon frais, du moins dispos, près d’un grand étang bordé de trois côtés par des arbres magnifiques, sous lesquels était rangée toute une population de pèlerins, de marchands, de voyageurs, campés dans leurs chariots ou sous des nattes. Puis, après avoir laissé aux prêtres le temps de faire les ablutions du matin, de tracer sur leur front, sur leur poitrine et sur leurs bras les trois lignes de Civa, de manger leur riz et de chausser leurs babouches, je m’acheminai à travers des rues larges, bien tracées, ombragées d’acacias. Là sont les maisons des brahmanes, habitations assez simples, soutenues par des piliers souvent ornés de figures et décorés d’une veranda avec un banc, où l’heureux desservant vient se coucher, rêver aux priviléges de sa naissance, et se reposer de son désœuvrement ;

  1. Trois lignes verticales tracées sur le front désignent les sectateurs de Civa ; trois lignes horizontales, les religieux voués à Vichnou.