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XVIIIe siècle, de cette époque éminemment philosophique, était devenue chez la plupart des disciples purement méticuleuse et littérale : elle ne s’attachait plus guère qu’aux mots. L’école d’où sortait M. de Barante la ramena aux idées, et rétablit le point de vue élevé que la littérature doit tenir dans une société polie, mais sérieuse. Quand je dis que la critique issue en droite ligne de la philosophie du XVIIIe siècle se prenait surtout aux mots, je sais bien que parmi ces mots on faisait sonner très haut ceux de philosophie et de raison, mais, sous ce couvert imposant et creux, on était trop souvent puriste et servile. Une autre école opposée à cette philosophie produisait alors d’éloquens écrivains, des critiques instruits et piquans sans doute ; mais c’était une réaction qui, en parant à un excès, poussait à un autre. Dans le courant même des idées du moment et de celles de l’avenir, quelques esprits eurent l’honneur, les premiers, de noter avec précision ce qu’on appelle en mer le changement des eaux, de signaler ce qui devait se poursuivre et ce qui devait se modifier, de marquer en un mot la transition sans rupture entre les idées du XVIIIe siècle et les pensées de l’âge commençant. Dans cette direction exacte que je tâche de définir, et à ne les prendre que comme critiques, il faut nommer Mme de Staël, Benjamin Constant, Mlle de Meulan et M. de Barante. Ce dernier, plus jeune, moins engagé, fut aussi celui qui résuma le plus nettement. « L’auteur du Discours dont il s’agit, écrivait Mme de Staël, est peut-être le premier qui ait pris vivement la couleur d’un nouveau siècle. » Cette couleur consistait déjà à réfléchir celle du passé et à la bien saisir plutôt qu’à en accuser une à soi. Pourtant, si, pour mieux voir, l’auteur ici se mettait volontiers en idée à la place de ceux qu’il jugeait, il n’abdiquait pas la sienne. Il tendait à substituer aux jugemens passionnés et contradictoires une critique relative, proportionnée, explicative, historique enfin, mais qui n’était pas déniée de principes ; loin de là, une sorte d’austérité y mesurait à chaque moment l’indulgence. Ainsi il jugeait le XVIIe siècle et le XVIIIe, rendant au premier sa part, sans immoler le second. Le nôtre, en avançant, a de plus en plus marché dans cette voie d’intelligence et d’impartialité, mais en s’embarrassant de moins en moins des principes. Il est presque arrivé déjà à la moitié de son terme, et il semble vouloir justifier cette parole que Mme de Staël proférait sur lui dès l’origine : « Le XVIIIe siècle énonçait les principes d’une manière trop absolue ; peut-être le XIXe commentera-t-il les faits avec trop de soumission. L’un croyait à une nature de choses, l’autre ne