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rons, non plus pendant quelques jours, mais pendant des sessions entières, des combinaisons adroites, nous ne voulons pas répéter le mot à la mode, des combinaisons dans tous les sens, ministérielles et anti-ministérielles. Quels sont les hommes réservés, pudiques, qui reculent devant ces moyens et s’abstiennent ? Où sont-ils ces candidats à la robe sans tache ? Rara avis.

Après le débat sur les fonds secrets, ou, à mieux dire, sur la question de confiance, la chambre des députés rencontrera deux autres discussions qui ne seront pas, dit-on, ni moins délicates ni moins sérieuses : le rapport de la commission d’enquête et le projet de loi sur les sucres.

Si le cabinet, tout en ne succombant pas cette semaine, ne remporte qu’une victoire peu décisive, c’est à l’occasion de l’enquête que le combat sera de nouveau engagé, que la question ministérielle agitera derechef l’assemblée. C’est ainsi que, comme nous le disions à la fin de décembre, la meilleure partie de la session se passera en luttes personnelles ; la France devra se contenter de savoir, non comment, mais par qui elle sera gouvernée.

La question des sucres est des plus importantes et des plus difficiles au point de vue politique, car la question économique n’en est pas une pour quiconque connaît ces matières et n’a point d’intérêt à dissimuler la vérité. Nous avons plus d’une fois abordé cette question ; il est superflu d’y revenir. La question politique est toute de convenances et de circonstances. Il ne s’agit plus de savoir ce qu’il serait bon en soi de faire ; il ne peut y avoir de doute sérieux à cet égard ; il s’agit de savoir ce que permettent au gouvernement les circonstances actuelles. Le cabinet a, dit-on, pris son courage à deux mains, et déclaré formellement qu’il soutient en tout et pour tout le projet présenté et repousse tout amendement. C’est bien, et nous ne voulons pas demander pourquoi tout à coup tant de résolution et de bravoure. Nous savons seulement que les députés des ports n’entendent pas raillerie à l’endroit des sucres. La mort de la betterave d’abord, les questions ministérielles après ; c’est là leur credo politique. Or, parmi les députés d’un ministérialisme fort douteux se trouvent précisément plusieurs de ces députés des ports, hommes de valeur, d’influence, gardant in petto les souvenirs rancuniers des victimes de la coalition. En passant à l’ennemi, par leur nombre, mais surtout par leur exemple, ils auraient porté un coup funeste au ministère. Le ministère n’a sans doute pas hésité. Restez, il a pu leur dire, suivez-moi, et vous aurez la loi des sucres. Si vous travaillez à me renverser, vous compromettrez les intérêts des colonies, car une crise ministérielle va s’ouvrir ; elle sera longue, difficile, pleine de vicissitudes et de péripéties. La session peut alors s’écouler sans que le projet soit discuté dans les deux chambres, et, le fût-il, croyez-vous qu’un ministère nouveau mette un grand zèle à défendre et faire adopter les projets de ses prédécesseurs ? Vous avez besoin de moi, j’ai besoin de vous ; pourquoi nous séparer ? Ce pacte a pu exister sans être explicite, on a pu s’entendre sans se parler. Intelligenti pauca. Toujours est-il que le cabinet soutient son projet unguibus et rostro, et que les députés des ports veulent, avant tout, que ce projet devienne loi.