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public veut que ses hommes politiques vivent, qu’ils puissent se racheter, se convertir, aller à gauche, aller à droite, s’allier, se séparer, se combattre, s’allier de nouveau, et lui donner long-temps le spectacle de leur habileté, de leur souplesse, de leurs tours de force. Le public a raison, car si ces hommes disparaissaient de la scène politique, par qui seraient-ils remplacés ? Où sont-ils ces débutans de brillantes espérances, ces hommes nouveaux pouvant faire oublier le talent des anciens et en rendre la perte indifférente au pays ? Encore une fois, le public a raison. Que nos hommes d’état vivent, dussent-ils ne pas se convertir. Ils vivront ; le combat qui va se livrer ne sera mortel pour personne. Il ne sera pas moins décisif dans le sens que ce mot peut avoir de nos jours, c’est-à-dire que les vaincus se trouveront pour un temps assez long éloignés du pouvoir. Qu’ils le perdent ou qu’ils ne parviennent pas à le conquérir, la défaite ne sera pas réparée d’un jour. Il y aura de douloureuses meurtrissures qui rendront nécessaire un repos assez prolongé.

Ce résultat est prévu. De là, pour les uns, une grande retenue, pour les autres un redoublement d’efforts et d’activité. De là aussi un spectacle plaisant. Un esprit morose, un moraliste austère emploierait peut-être une épithète plus significative et plus vraie. Nous voulons parler des accusations incessantes que les deux partis se jettent à la tête depuis long-temps. — Vous intriguez, disent les uns, et vous séduisez par des promesses. — Vous intriguez, répondent les autres, et vous corrompez par des moyens plus positifs que des promesses. — Certes, nous ne répéterons pas toutes les anecdotes dont chacun cherche à étayer son affirmation. Paix, messieurs, paix. Probablement personne de vous ne ment. On connaît l’amour de nos hommes politiques pour la vérité, Nous voudrions bien que quelqu’un eût le droit de répéter ces mots latins dont Pascal accablait ses adversaires. Mais ce sont là des armes dangereuses ; elles ne sont pas de notre temps. Le public lui-même trouverait étrange que quelqu’un eût le droit et la prétention de s’en servir. Il aime mieux croire ce qu’on lui dit, ce qu’on lui dit des uns et des autres, en rire, s’en amuser. Une qualité seule le frappe et lui plaît aujourd’hui ; l’adresse, l’habileté. Soyez le plus habile, réussissez, il applaudit. Le public n’a pas perdu le sens moral. Ce serait une calomnie que de l’affirmer. Mais c’est là une faculté qu’il laisse chômer pour le moment. Il n’y a pas de père de famille à qui il n’arrive parfois de préférer les libertés un peu vives des petits théâtres aux graves enseignemens de la scène française.

Quelques personnes paraissaient craindre un combat sans coups, une guerre silencieuse, sournoise, qui se passerait tout entière dans les profondeurs de l’urne, dans les mystères du vote individuel. On rappelait le ministère du 12 mai, mort comme la république de Venise, mais après une vie toute différente, mort sans bruit et sans gloire. Cette crainte était chimérique. Ce n’est pas ainsi que peut tomber un ministère qui a des amis et des ennemis également ardens, acharnés, impétueux. Le 12 mai n’avait qu’un tort, le tort d’être et d’occuper la place qu’on convoitait. Il suffisait de l’en chasser. On ne voulait rien de plus. Il n’y avait contre lui ni haine, ni rancune. Les