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actuelle. Le cabinet pour lui-même n’a pas, je l’affirme, cent voix dans la chambre ; s’il n’existait point et qu’il s’agît de le former, il serait impossible. Presque tous ses adhérens sont prêts à reconnaître sa faiblesse et ses inconvéniens, ils ne prennent pas même la peine de le défendre ; mais après les plus vives critiques, ils se déclarent résignés à voter pour lui. Le même langage est dans toutes les bouches, on dirait un mot d’ordre : à quels hommes, à quels principes passerait le pouvoir, si le cabinet du 29 octobre le perdait ? Il faut les connaître, dit-on, avant qu’il soit renversé, et savoir quel profit le pays retirerait d’un changement dans le personnel et dans le système du gouvernement ; il ne faut pas s’exposer à une politique plus déplorable encore, selon la formule de M. Leseigneur. D’ailleurs, le cabinet dure depuis plus de deux ans, c’est presque un miracle de longévité ; il est bon de le conserver comme un gage de stabilité. Enfin, une crise ministérielle cause toujours au pays et aux affaires un dommage que les hommes désintéressés et étrangers aux querelles de parti doivent éviter. Toutes ces raisons, comme vous le voyez, monsieur, se concilient parfaitement avec la censure du cabinet ; elles sont présentées avec d’autant plus d’assurance, que ceux qui les invoquent se donnent en même temps des honneurs de l’indépendance et peuvent à la fois flatter l’opposition en faisant bon marché du cabinet, et le cabinet en lui promettant leur appui. Situation commode dans un temps, comme le nôtre, de convictions molles, d’indifférence politique et de ménagemens universels, où beaucoup d’hommes, fort honorables du reste, aiment le repos, craignent la lutte et ne veulent pas se faire d’ennemis.

Quelle est la valeur des raisons que je viens de reproduire ? c’est ce que je me propose d’examiner.

On demande en premier lieu quels hommes remplaceraient les ministres actuels. Vous comprenez parfaitement, monsieur, que mon projet n’est point de discuter ici les titres et l’aptitude des personnages politiques que désigne l’opinion. Je laisse à M. Desmousseaux de Givré, qui s’est fait une spécialité de l’injure, le soin de discuter des noms propres et de remplacer les argumens par des personnalités, et la logique par le sarcasme ; mais je nie que les adversaires du cabinet aient à composer à l’avance un ministère pour le substituer à celui qu’ils combattent. Il faudrait entendre les cris de ceux qui demandent à l’opposition ses candidats, si elle avait l’imprudence d’en dresser la liste ! Que d’attaques contre les hommes qui y seraient inscrits ! que de propos amers sur leur ambition et leur outrecuidance ! Les plus empressés à provoquer aujourd’hui la composition prématurée d’un cabinet se montreraient demain les plus violens à la condamner et ne trouveraient pas d’expressions assez vives pour flétrir cette usurpation des droits de la couronne. Qui ne voit d’ailleurs que, pendant la durée du cabinet actuel, il est impossible de concerter aucune combinaison ? Parmi ceux qui pourraient plus tard être appelés à jouer un rôle, les uns n’écouteraient qu’une honorable défiance d’eux-mêmes, les autres refuseraient de s’engager pour une pure éven-