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LES ESCLAVES.

Les voici ; je les tiens. Leurs cohortes impies
Sur nos postes cachés vont surgir tout à coup.
Silence jusque-là, puis d’un seul bond debout !
Qu’au signal attendu du premier cri de guerre
Un peuple sous leurs pieds semble sortir de terre !
Chargez bien vos fusils, enfans, et visez bien :
Chacun tient aujourd’hui son sort au bout du sien.
À vos postes ! Allez !

(Ils s’éloignent. Toussaint rappelle les principaux chefs,
et leur serre la main tour à tour.)
À vos postes ! Allez ! À revoir ; demain, frères,

Ou martyrs dans le ciel, ou libres sur la terre !

(Après un moment de silence.)
Mais il faut vous laisser conduire par un fil,

Sans demander : Pourquoi ? Que veut-il ? Que fait-il ?
Que chaque ame de noir aboutisse à mon ame ;
Toute grande pensée est une seule trame
Dont les milliers de fils, se plaçant à leur rang,
Répondent comme un seul au doigt du tisserand ;
Mais si chacun résiste et de son côté tire,
Le dessein est manqué, la toile se déchire.
Ainsi d’un peuple, enfans ! Je pense, obéissez !
Pour des milliers de bras, une ame, c’est assez.

LES NOIRS.
Oui, nous t’obéirons ! toi le vent, et nous l’onde !

Toussaint sur Haïti, comme Dieu sur le monde !

TOUSSAINT.
Eh bien ! si vous suivez mon inspiration,

Vous étiez un troupeau, je vous fais nation !
...............
...............
(Ils tombent à ses pieds.)


A. de Lamartine.