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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

velle ne prononçait pas même le nom d’assemblée nationale. Ainsi aux duperies officielles des absolutistes succédaient les mystifications du parti appelé constitutionnel.

Ephrem, pour calmer le peuple, se mêlait à la foule, et criait : « Amis, jurez de soutenir à jamais, vous et vos enfans, la constitution libératrice. » Mais le peuple, qui, avec son merveilleux instinct, voyait dans cet oustav le prélude de son asservissement à l’étranger, lui répondait : « Nous avons juré d’obéir à une autre charte, et nous tenons notre serment. Ce n’est pas à nous de jurer, c’est à vous autres de nous prouver que vous êtes fidèles. » L’idée encore vivace en Orient de l’infaillibilité du peuple, en ce qui touche ses intérêts civils, donnait ce jour-là à l’attitude des paysans serbes un caractère imposant. Les sénateurs et les nouveaux ministres allèrent donc en secret et sans pompe prêter dans l’église leur nouveau serment ; quant au peuple, il s’en tint à celui qu’il avait prêté en 1835.

La charte des tsars n’avait contenté ni Miloch, qu’elle humiliait devant l’Europe, ni la nation, qui s’indignait de voir des influences étrangères dominer le sénat. S’apercevant du mécontentement général, le consul anglais en concluait que le régime despotique était le seul qui convînt à la Serbie ; le consul russe au contraire en tirait cette conséquence, que le despote n’avait pas encore été assez abaissé. Pour les agens autrichiens, ils assuraient que la nationalité serbe était un vain rêve des slavistes. En réalité, ce qui empêchait la nation de se développer, c’étaient les intrigues de ces trois consuls, que le peuple aurait voulu embarquer sur le Danube, avec la race entière des Obrenovitj, pour se choisir une nouvelle dynastie et se donner des lois conformes à ses besoins ; il était surtout blessé de l’abolition de la skoupchtina. L’avocat Hadchitj, qui avait posé les bases du nouvel oustav, se plaignait hautement qu’on eût dénaturé son plan : on n’avait point opposé, comme il l’eût désiré, le pouvoir d’une chambre des députés à celui du sénat ; on n’avait point prévu le cas où le prince se refuserait à souscrire les lois votées par le sénat et les députés, cas dans lequel Hadchitj réclamait la convocation ipso facto de la grande skoupchtina. Cette diète populaire était une institution profondément nationale ; aucun des anciens rois n’avait osé l’abolir. Sous Tserni-George, elle était le fondement de l’état ; Miloch même, tout en éludant l’action de cette assemblée, en avait reconnu la légitimité. De quel droit donc les empereurs gardaient-ils sur cette vénérable institution un dédaigneux silence ? Alarmé de ces murmures, le consul Vachtchenko écrivit aux cours de l’Ermitage