Hodges qu’il leur rapporterait une charte telle qu’ils n’auraient pas à s’en plaindre. Les Serbes tremblaient, sachant combien l’or est puissant, et Miloch, avec un rire sardonique, disait aux siens :
« Frères, qu’y a-t-il besoin d’une charte ? nous avons déjà celle de 1835, que j’ai jurée. » Vainement la fureur du peuple montait comme une mer ; à chaque nouvelle pétition des knèzes, le prince montrait son poirier, grand arbre qui se trouvait devant son konak, sur la place de Kragouïevats, et aux branches duquel il faisait pendre les conspirateurs. Cet arbre, qu’on regardait comme le symbole du tyran était devenu le sujet de récits qui font frémir. Bientôt les branches de ce poirier, comme celles des chênes vénérés par les druides, revêtirent aux yeux du peuple un caractère prophétique ; dans le dessèchement progressif de l’arbre de Miloch, on vit comme une approbation céleste donnée aux projets d’émancipation. Enfin, durant l’automne de 1838, un ouragan terrible déracina l’arbre maudit. — Vive la patrie libre ! cria le peuple. Depuis long-temps l’insurrection se trouvait prête, mais Voutchitj la retint de sa main puissante. — Attendons encore, dit-il, l’issue des conférences de Stambol, — et les chefs patriotes, entourés de leurs iounaks armés, se préparèrent en silence au combat, jurant, si l’égoïste diplomatie de l’Europe soutenait encore Miloch, de le chasser par la force ou de périr. Toutefois, ils crurent prudent de recevoir dans leurs rangs le frère du prince, Ephrem, qui, s’abusant encore sur la haine si méritée dont il était l’objet, espérait pouvoir succéder au souverain détrôné. Ephrem, qui avait de nombreux griefs contre Miloch, signa même avec plusieurs autres chefs, le 12 novembre 1838, un acte secret où tous s’engageaient à unir leurs efforts pour l’expulsion du tyran. Depuis qu’il était soutenu par les luthériens d’Angleterre, le kniaze, aux yeux même du clergé, n’était plus qu’un impie. N’osant sortir de son konak, il faisait chaque nuit barricader les rues voisines par les soldats de sa garde. « Je meurs de peur, disait-il aux siens ; il faut qu’un tel état cesse, réconciliez-moi avec le pays, vidons en famille nos querelles de famille, reprenons sincèrement la charte de Davidovitj, qui m’avait tant fait chérir. » Il était trop tard ; l’exaspération populaire était au comble. Le consul Hodges lui-même tremblait d’être chassé ; il n’osait plus aller voir publiquement Miloch : le mépris que cet Anglais avait montré pour des barbares indignes, selon lui, d’être libres, lui avait enlevé toute sympathie et toute influence. Il n’avait plus qu’une espérance : Miloch, en se jetant dans les bras du sultan, en se refaisant raya, pouvait regagner le pouvoir et se