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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

d’une nation constitutionnelle, essaya de mille manières de prouver aux Serbes qu’ils ne pouvaient être régis que militairement. Il leur parlait lui-même en toute circonstance comme à des esclaves. Un homme qui s’est acquis par ses travaux sur l’Orient une réputation légitime, M. Urquhart, revenant de Turquie vers cette époque, s’arrêta quelques mois à Belgrad. Il se fit fournir par M. Tirol, employé à la chancellerie de Kragouïevats, les renseignemens les plus détaillés sur les produits et ressources de la principauté, et envoya ces documens à lord Ponsonby, sans se douter de l’usage qu’en ferait la diplomatie anglaise, préoccupée là comme partout d’un intérêt d’argent. Armé de ses pièces, Hodges dressa les bases d’un traité de commerce qui devait être conclu avec le seul marchand libre de la Serbie, Miloch. Les métaux, les pelleteries, le charbon de terre, le bois de construction, tout allait être livré aux Anglais, qui paieraient avec des calicots, des indiennes, des draps de Birmingham, déposés dans des comptoirs sur le Danube et la Save. En retour, on assurait à Miloch la puissance la plus absolue sur ses sujets, même le droit de les ensevelir en foule dans les mines nouvellement ouvertes, sans autre salaire que leur ration de pain noir. Pour récompenser le zèle de son agent, le cabinet de Londres érigea le consulat de Serbie en consulat-général vers la fin de l’année 1837. Ce fut l’occasion d’une fête pour le gouvernement serbe. Le kniaze se rendit avec sa femme, ses enfans, son frère Ephrem, le métropolite Peter, l’avocat Hadchéitj, de Neusats, et une foule d’employés, à un grand banquet chez le consul-général. Mille toasts furent portés à l’absolutisme. — Surtout, point de lois, disait Hodges ; après le diable, rien n’est aussi funeste que les législateurs. Le kniaze ne pouvait cacher son orgueil et sa joie. Au festin succéda un bal magnifique, où, après quelques contredanses anglaises, on vit Miloch et les siens exécuter un sauvage kolo.

La Russie, qui, l’année précédente, avait aidé Miloch à détruire la charte serbe, et garanti au kniaze la complète possession de son pouvoir, venait d’adopter une nouvelle politique vis-à-vis des Serbes. Voyant leur prince invoquer l’Angleterre, et tout le peuple sur le point de s’insurger, elle abandonna le kniaze à la vengeance nationale. Devenu libéral par nécessité, le cabinet de Pétersbourg rejeta le statut organique que Miloch lui avait soumis. Tout, dans cet acte, était laissé à l’arbitraire ; on y définissait le sénat un corps exécuteur des volontés du kniaze, et le trésor de l’état une caisse où entraient tous les impôts pour couvrir les dépenses, dans la mesure, le