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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

d’un jour à l’autre, les fonctionnaires étaient descendus au rang de simples domestiques. Miloch ne voyait dans ses dignitaires que des jouets de son caprice ; il nommait un jeune officier, Tsvetko Raïovitj, général en chef de l’artillerie, puis le destituait aussitôt en lui faisant donner vingt-cinq coups de bâton ; il transformait le colonel en juge, le simple soldat en aide-de-camp, le valet en capitaine, et le capitaine en valet. Il trouvait son plaisir à ces changemens subits de fortune. La même inconstance régnait dans ses amours. Sa favorite Stanka, qu’il aimait tant en 1835, que, chassé par le peuple, il l’eût emportée dans ses bras, disait-il, jusqu’aux extrémités du monde, cette rustique beauté n’était plus la reine du konak ; après l’avoir livrée à un marchand de Belgrad, Miloch l’avait remplacée par trois favorites qui régnaient à la fois sur son cœur. Celle des trois qu’il préférait était une superbe esclave qu’il venait d’acheter à Stambol, sous prétexte de la convertir au christianisme, et qui avait reçu avec le baptême le nom mystique de Danitsa (étoile du matin). Pour Miloch, c’était plutôt l’étoile du soir, car sa chute approchait.

La tentative du kniaze auprès de la Porte pour en obtenir un firman qui l’autorisât à châtier les rebelles de 1835, avait complètement échoué. M. de Boutenief, qui, seul de tous les ambassadeurs, connaissait le véritable état de la Serbie, et ne croyait pas possible de soutenir plus long-temps Miloch contre la haine de tout le peuple, força le divan de retirer à l’hospodar ses faveurs et de lui écrire une note menaçante où on le sommait de régner avec plus de justice Miloch se garda bien de publier ce nouveau firman, qui est encore inédit ; mais le bruit du mécontentement de la Porte se répandit parmi les Serbes, qui élevèrent plus hardiment la voix contre leur tyran. Toutefois ces plaintes ne passaient pas la frontière. Les marchands serbes allaient à Vienne, à Trieste, à Leipzig, sans dire un seul mot de Miloch. Ils craignaient sans doute l’intervention étrangère ; sans doute aussi chez ce peuple nouveau, qui brûlait de vivre de sa vie propre, on sentait le besoin de vider ses querelles en famille. La situation de Miloch n’en était pas moins critique. Les deux essais d’assassinat tentés dans les bois par ses momkes sur le sénateur Petronievitj avaient tourné à la honte du prince ; ses coups n’abattaient plus que des victimes obscures ; les plus redoutables vivaient, réfugiées en Turquie et à Constantinople. Lorsqu’il reconnut enfin son impuissance, le cœur faillit à Miloch, qui se mit à trembler comme une femme. Non content de faire veiller chaque nuit dans son antichambre deux momkes avec carabines chargées, il gardait