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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

l’église, qu’il confondait avec la patrie, guérie enfin de ses longues douleurs par une constitution telle que bien des nations civilisées l’envieraient.

Ce peuple qui quelques jours auparavant bondissait comme un lion échappé de l’arène, était redevenu doux comme un agneau. Le lendemain à l’aurore, toute la skoupchtina, précédée de la bannière nationale, alla porter au kniaze trois présens symboliques de la part des trois classes de la société : les agriculteurs et marchands, les prêtres et savans ou hommes de loi, les guerriers et employés de l’état. La première classe, correspondant à ce qu’on appelait en France le tiers ou le troisième état, était précédée d’un kmète portant un plat d’or sur un coussin blanc, avec le hleb-sol (pain et sel), emblème qui chez les Slaves désigne à la fois la soumission et l’hospitalité. Puis venait le sénateur Mileta Radoïkovitj, portant au nom des iounaks (braves), qui le suivaient, un magnifique sabre enrichi de brillans, du prix de 10,000 thalers, avec l’exergue : À son kniaze Miloch Ier la Serbie reconnaissante. Enfin le métropolite, entouré des évêques et de tout le clergé, s’avançait avec une superbe coupe d’or, symbole de la joie et du salut procurés par la charte ; derrière lui se pressaient dix mille députés, ivres de bonheur. En présence de ces manifestations chaleureuses, Miloch, attendri, pleura : il coupa une tranche du pain qui lui était offert, la plongea dans le sel et la mangea ; puis, prenant des mains du métropolite la coupe pleine d’un vin doré, il porta la santé de son peuple, et vida cette coupe d’un seul trait, la renversant en l’air pour n’en pas laisser échapper une goutte, comme s’il eut eu soif de ce breuvage, qui signifiait l’amour du peuple.

Ainsi la nation entière paraissait sortir du tombeau ; elle était appelée à revivre ; ses représentans, délivrés de la terreur, et par conséquent rendus à toutes les idées généreuses, ne craignaient plus les empereurs ; ils se sentaient capables de repousser la force par la force, et déjà parlaient de protéger les rayas de Turquie. Jamais la nationalité serbe ne s’était montrée si ardente et si fière. Mais l’homme qui l’avait ainsi réveillée, Davidovitj, devait bientôt porter la peine de son audace.

Né à Zemlin, Davidovitj avait, de 1810 à 1820, rédigé seul à Vienne la première de toutes les gazettes en langue serbe. Cette feuille, remplie de faits curieux sur l’état ancien et présent, littéraire et politique de la nation, était autorisée par le gouvernement autrichien, qui espérait alors obtenir par ses services le protectorat de la Serbie, aux dépens des Russes, encore faibles sur le Danube. À force