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et il demanda aux deux empereurs une récompense plus positive de sa neutralité. Trompée par ses protestations de dévouement, et le regardant comme sa créature, la Russie résolut de lui faire octroyer le rang qu’il sollicitait depuis quinze années. En août 1830, le bérat qui l’instituait prince héréditaire de Serbie arriva à Kragouïevats. On reçut en même temps un hati-cherif que Mahmoud avait signé de sa propre main, et qui mettait à exécution les promesses du premier firman, relatives aux neuf demandes des Serbes. Miloch, dans l’ivresse de la joie, envoya aussitôt des circulaires dans toutes les nahias, pour convoquer la skoupchtina. Des points les plus éloignés de la Serbie, tous les pères de famille arrivèrent, tous les guerriers accoururent. Une diète allait se célébrer avec toute la pompe traditionnelle de ces antiques solennités slaves. Le matin de la Saint-André, ces citoyens des forêts qui avaient dormi sous des tentes, autour de leur ville blanche (Belgrad), gravirent, au nombre de huit mille, les plateaux du Vratchar illuminés par le soleil levant. Toujours trompé, toujours confiant, ce peuple, à peine délivré du joug turc, allait donc s’imposer un autre joug, et reconnaître la suprématie de Miloch, jusqu’à ce que, las de cette nouvelle tyrannie, il la brisât comme la première, et prononçât, en 1839, sur ce même plateau du Vratchar, l’arrêt de l’exil contre le prince reconnu en 1830. Escorté de brillans cavaliers portant la lance à trois queues, le visir de Belgrad s’avança, salua d’un air protecteur le chef des rayas, qui se prosterna à ses pieds, et déroulant le hati-cherif, il le lut devant la diète. Le peuple, dans son imprévoyance, accueillit cette lecture avec une joie sans bornes ; les voïevodes eux-mêmes et les capitaines des montagnes renoncèrent gaiement à leurs droits en faveur d’un compagnon d’armes. Plus de haïdouks ni de priviléges d’épée ! s’écriait-on ; mais une liberté égale pour tous, sous la direction du père commun de la grande famille serbe.

On était au jour anniversaire de la prise de Belgrad par Tserni-George en 1806 ; on se souvenait aussi que les spahis, chassés par le héros, étaient revenus en 1813, et qu’alors les églises en deuil avaient dû enfouir sous terre jusqu’à leurs cloches. Depuis ce temps, on n’employait plus que des marteaux de bois pour appeler les fidèles. Le nouveau hati-cherif, en accordant l’exercice public du culte, encouragea les Serbes à déterrer ces cloches pour les suspendre de nouveau. Hussein-Pacha s’y opposa avec menaces, mais les capitaines serbes répondirent respectueusement qu’ils repousseraient la force par la force, et le très pur visir dut céder. Toutes les cloches