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ses plus riches provinces méridionales. De tous les cabinets d’Europe, il n’en est donc pas un qui doive être en réalité plus opposé que celui de Pétersbourg à une régénération totale du peuple serbe. On s’explique parfaitement dès-lors que l’empereur Nicolas ait, en 1828, sommé Miloch de s’abstenir de toute démonstration guerrière vis-à-vis de la Porte, s’il ne voulait voir l’armée russe entrer sur le territoire serbe en ennemie. Cette menace, Nicolas aurait-il pu l’accomplir ? Nous ne le pensons pas ; l’opinion publique de l’Europe s’y fût opposée, et les Grecs, les Albanais, les Valaques, saisissant cette occasion de consommer leur propre émancipation, n’auraient pas tardé à courir aux armes. Miloch pouvait donc mépriser l’avertissement du tsar, tous les Serbes auraient applaudi à cette fière conduite avec enthousiasme ; mais le tsar avait promis à Miloch de le reconnaître comme prince héréditaire en récompense de son immobilité, et Miloch sacrifia l’affranchissement définitif de sa patrie au plaisir de s’en faire le prince légitime. Il repoussa donc les Serbes insurgés de Bosnie et d’Hertsegovine qui lui tendaient les bras ; il refusa d’être leur Washington : ce rôle était trop haut pour une ame vulgaire.

Enfin, le 29 novembre 1829, la Porte dut mettre à exécution la clause du traité de Boukarest pour laquelle la Russie avait pris les armes. La petite cour de Kragouïevats vit arriver un tatar de Stambol, porteur d’un diplôme qui remplit d’allégresse tout le konak du haïdouk ; c’était le premier hati-cherif que la Porte eût daigné octroyer aux brigands de la Serbie. Cette pièce si importante, puisqu’elle consacre diplomatiquement la régénération civile de la Serbie, n’a point été publiée, pas même en serbe ; je la traduis ici tout entière :

TRÈS SUBLIME ET PREMIER RESCRIT DU TSAR OTTOMAN AU PEUPLE SERBE.

« Avec la ferme assurance que le contenu de ce firman restera une vérité, ô toi, mon grand et puissant lion, administrateur de nombreuses affaires, qui donnes au monde le nizam (la loi), puisse ta pure intelligence, qui dirige si habilement les intérêts de notre race, arriver heureusement au but de toutes tes entreprises ! Que ta domination et ton bonheur soient éternels ! que personne n’ose contester tes droits ! inébranlable gouverneur de Belgrad, Hussein-Pacha, que Dieu te garde ! Et toi, ô cadi turc, qui es un haut savant, qui montres la route sacrée de la tradition que tu as apprise des saints, la suprême bénédiction impériale repose sur ta tête, cadi de Belgrad, interprète de la science.