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qu’ils ont convoité. Des sommes énormes, attendu le grand nombre de ces petites bourses, doivent être ainsi soustraites à la circulation, sans que leurs possesseurs en retirent aucun intérêt. Commencer à donner à nos cultivateurs le goût de placemens mobiliers, c’est combattre le penchant excessif qui les porte à payer outre mesure les terres qui sont à leur convenance, faute d’un autre emploi de leur argent ; c’est ensuite les disposer à en faire un emploi productif, parce qu’ayant un dépôt sûr, ils ne craindront plus, en manifestant leur pécule par des emplois variés, de l’exposer à être volé. Cette crainte porte les cultivateurs à cacher, à dissimuler leurs fortunes, à affecter les dehors de la misère ; avec l’usage de la caisse d’épargne, les causes du mal disparaîtraient.

Il faudrait donc qu’une succursale de la caisse fût établie dans chaque commune, que des employés y fissent une tournée hebdomadaire ou mensuelle pour recueillir les dépôts, que les percepteurs, par exemple, en fussent chargés, et, si l’on pouvait intéresser le clergé à cette bonne œuvre, le succès serait certain. Je crains pourtant que l’on n’obtienne pas ce dernier point. Une partie du clergé confond les caisses d’épargne dans l’anathème qu’il porte contre le prêt à intérêt, et j’ai trouvé de la répugnance à protéger ces caisses chez un de nos plus saints et de nos meilleurs évêques.

Maintenant, la petite propriété est-elle un bien, est-elle un mal ? Du moment que l’on ne peut agir sur elle que par des voies indirectes, qu’elle est une nécessité de position et de circonstances, que d’elle-même elle prend un équilibre subordonné à des conditions que le temps seul peut modifier, la question devient purement théorique, et il serait oiseux de la traiter ici. Cependant la petite propriété est au moins aussi productive que la grande à égalité de capital, mais elle produit autrement et autre chose. Son principal capital consistant dans le travail des bras, elle nourrit des hommes et non des animaux, elle cultive des vivres et non des fourrages ; en fait de cultures industrielles, elle s’attache aux végétaux d’un riche produit et qui exigent beaucoup de main-d’œuvre, la garance, le safran, le lin, le chanvre, la vigne, le mûrier, de préférence à ceux qui peuvent se cultiver en grand et à la charrue. Je ne crains pas la petite propriété sous le rapport économique et agricole ; sous le rapport politique, je crains que, tout en étant une garantie d’ordre, elle n’en soit pas une pour les institutions libres. Quand la propriété est nivelée sous de petites proportions, elle devient incapable de se défendre. L’atelier de la culture est trop vaste et trop disséminé pour